Ne cherchez pas Le concert dans les salles ce week-end. Le distributeur Films Séville a été contraint de retirer le film de Radu Mihaileanu du programme à peine deux jours avant la date de sortie prévue.

Branle-bas de combat chez le distributeur; branle-bas de combat dans la boîte de relations publiques mandatée pour la promotion; branle-bas de combat dans les médias, tant du côté rédactionnel que publicitaire. La sortie du film lauréat du prix du public au Festival Cinémania de Montréal doit être repoussée in extremis au début du mois d'août. La raison? Une obligation contractuelle à laquelle doit se soumettre le distributeur local, laquelle interdit à ce dernier de mettre le film à l'affiche dans les salles du Québec avant que le distributeur américain, The Weinstein Company, n'en fasse de même aux États-Unis. Cette clause figurait dans le contrat depuis l'achat des droits du film par Séville et l'imbroglio découlerait d'un simple malentendu sur le choix de la date de sortie. Des négociations de dernière minute entre le vendeur français Wild Bunch et la compagnie Weinstein, qui mettra The Concert à l'affiche à la fin du mois, n'ont toutefois pu venir à bout du «problème québécois» cette semaine, les Américains se montrant intraitables.

Cette affaire peut sembler banale; elle ne l'est pourtant pas. Elle cristallise en effet un malaise bien plus profond. Et met en relief la marge de manoeuvre désormais quasi inexistante dont disposent les distributeurs d'ici, même avec les productions étrangères (autres qu'américaines, il va sans dire). Voilà qui explique, entre autres choses, les délais inacceptables de «livraison» des films français et internationaux en nos terres. Comble de l'ironie, des oeuvres montées en partie grâce à des sociétés canadiennes ou québécoises, comme Mesrine, sont contraintes de la même façon à se soumettre au bon vouloir d'un distributeur américain. Et ce, même si aucune entreprise ayant pignon sur rue aux États-Unis n'a investi un seul sou à l'étape de la production. Kafka ne ferait pas mieux.

Comment en est-on arrivés là? Tout simplement parce qu'en matière d'exploitation cinématographique, le Canada n'est pas un pays souverain. Il fait partie du marché «intérieur» américain (le «domestic market»). Il convient d'ailleurs de rappeler ici un chapitre d'histoire afin d'expliquer les raisons de cette humiliante soumission. Les grands studios ont en effet pris la tête des compagnies de distribution et d'exploitation des salles au Canada - et au Québec - dans les années 20. Depuis, la frontière qui sépare les deux pays n'existe pratiquement plus. «À cette époque, la majorité des gouvernements européens réagissent rapidement en contrôlant l'origine des compagnies de production et de distribution, ou en stimulant la production nationale, ce que ne fait pas le Canada», écrit Peter Morris dans L'Encyclopédie canadienne, un ouvrage commandé par la Fondation Historia. «Après la guerre, la rumeur court qu'un régime de quotas obligerait Hollywood à réinvestir au Canada une partie de ses bénéfices recueillis au pays. Ce régime ne voit jamais le jour», souligne de son côté Piers Handling dans ce même ouvrage.

Autrement dit, les Américains sont ici chez eux. Bien malin celui qui parviendra, après bientôt 100 ans de régime féodal, à rétablir un rapport de force quelconque avec un seigneur aussi puissant. Qui considère l'accès à son terrain de jeu du nord comme un droit acquis. Pour rien au monde, il ne céderait son petit point de pourcentage de revenus en respectant le caractère spécifique du Québec et de ses distributeurs, lesquels connaissent pourtant autrement mieux qu'eux ce marché. Pour rien au monde il ne se départirait des 10% (environ) de revenus provenant du Canada anglais dans leurs statistiques.

La situation est devenue tellement intenable pour les distributeurs locaux qu'il ne faudra pas se surprendre le jour où aucun d'entre eux n'osera acheter à gros prix le grand film international attendu. Pourquoi donneraient-ils leur chemise alors qu'ils ne disposent d'aucun pouvoir pour mettre le film en marché dans les règles de l'art?

Qu'un distributeur américain impose ses règles pour un film produit aux États-Unis, cela va de soi. Quand ce même distributeur impose chez nous sa loi avec arrogance pour des films étrangers - particulièrement les films français -, il ajoute l'insulte à l'injure. C'est comme la goutte de trop.

L'éternel mépris

Dans un même ordre d'idées, sachez que Le ruban blanc, l'extraordinaire film de Michael Haneke (Palme d'or à Cannes l'an dernier), est disponible depuis quelques jours en DVD et en Blu-ray sous le titre The White Ribbon. Métropole Films avait acquis les droits d'exploitation du film de langue allemande pour la carrière en salle, de même que pour les passages à la télé. Les droits du DVD ayant échappé à la société (elle-même une filiale de la société canadienne Mongrel Media), on se retrouve aujourd'hui avec une situation complètement absurde. Les cinéphiles québécois doivent en effet se contenter du DVD lancé par la compagnie américaine Sony Home Entertainment. Qui n'a évidemment pas cru bon d'offrir en option une piste française, pas plus que des sous-titres en français. Pourtant, environ 50% des revenus générés par la carrière du film en salle au Canada provenaient du Québec. «Le mépris n'aura qu'un temps», affirmait Arthur Lamothe il y a plus de 40 ans. Le vénéré cinéaste ne pouvait deviner à l'époque que ce temps emprunterait aujourd'hui les allures d'une éternité.

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