Deux oeuvres sombres, contrastant avec le soleil intense, étaient présentées hier dans le cadre de la compétition mondiale du 34e FFM. Tête de Turc, premier long métrage du comédien français Pascal Elbé, et Tannöd, de la cinéaste suisse Bettina Oberli.

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Tête de Turc, polar social campé dans une banlieue parisienne, commence avec une flambée de violence entre policiers et jeunes laissés-pour-compte, culminant par l'agression d'un médecin urgentiste, Simon (interprété par Elbé).

Simon, plongé dans le coma, a été sauvé des flammes de sa voiture par un adolescent d'origine turque, Bora (Samir Makhlouf). Mais c'est Bora qui a lancé le cocktail Molotov et mis la vie de Simon en danger. Le héros, que des politiciens cyniques veulent décorer pour apaiser le climat tendu, est aussi le coupable...

Le film de Pascal Elbé s'articule autour de ce paradoxe, et des répercussions du drame autant sur l'entourage de Simon - son frère policier (Roschdy Zem) veut le venger - que de Bora, élevé seulement par sa mère (formidable Ronit Elkabetz, vue récemment dans Jaffa et La fille du RER).

«J'ai voulu rendre hommage à ces femmes, elles sont nombreuses en France, qui avec courage et dignité élèvent seules leurs enfants dans des conditions souvent difficiles, a dit Pascal Elbé en conférence de presse hier. J'ai voulu faire un film à hauteur d'homme, pour qu'il n'y ait pas de jugement, mais une tentative de compréhension.»

Une compréhension de la montée récente de la violence dans les banlieues françaises, à laquelle Tête de Turc fait bien sûr écho. «J'ai voulu parler de la responsabilité commune, ajoute-t-il. Nous sommes tous inclus dans un contrat social. Lorsqu'on s'attaque à quelqu'un, à un médecin urgentiste par exemple, on ne s'attaque pas qu'à une personne mais à la société, et peut-être à quelqu'un d'autre que ce médecin aurait pu aider. Il y a un effet domino. Il faut toujours réfléchir aux conséquences de ses actes. Dans la vie, rien n'est gratuit.»

Pascal Elbé entretient des liens privilégiés avec le Québec depuis le tournage de Père et fils, de Michel Boujenah, qu'il a coécrit et qui l'a révélé dans le rôle d'un des fils du personnage interprété par Philippe Noiret. Il a aussi travaillé pendant un an comme ambassadeur du Cirque du Soleil, et tourné, avec la réalisatrice Agnès Obadia, la comédie Romaine par moins 30 au Québec. «Le Québec, pour moi, est une région de coeur», dit-il.

Polar rythmé et efficace, soutenu par une distribution de premier plan, Tête de Turc pèche par excès, comme bien des premières oeuvres. Le réalisateur a eu la patte un peu lourde (ralentis, jeux de lumière, montage saccadé). Le scénariste aussi (quelques dialogues surlignés et symboliques appuyées). Son scénario s'encombre de tellement d'avenues (dont une histoire parallèle de mari endeuillé) et de chassés-croisés improbables qu'il en perd en cohérence, en vraisemblance et en fluidité. Le dénouement est par ailleurs fort prévisible.

Ce film de Pascal Elbé, qui reste intéressant pour la puissance de son sujet, doit prendre l'affiche le 10 septembre au Québec.

Secrets et mensonges

Tannöd, de la réalisatrice suisse Bettina Oberli, n'est pas, comme l'indique son titre traduit en anglais (The Murder Farm), plus joyeux. Inspiré d'un fait divers et adapté d'un roman d'Andrea Maria Schenkel, le film raconte l'histoire d'une famille de fermiers assassinée (avec un pic) dans un village reculé de Bavière, dans les années 50.

Finement réalisé, une musique hypnotique de circonstance à l'appui, Tannöd est une oeuvre sur la culpabilité et le silence, le secret et le mensonge, l'hypocrisie de l'après-guerre dans l'Allemagne consolée par la religion.

Le récit (signé Petra Lüschow), dense et captivant, rappelle inévitablement In Cold Blood de Truman Capote, mais est alourdi par quelques dialogues verbeux, qui tranchent avec le minimalisme de la mise en scène. Certains personnages secondaires, esquissés trop sommairement, donnent également une impression de lourdeur à l'ensemble.

Bettina Oberli, 38 ans, ne réinvente pas un genre extrêmement codifié, à mi-chemin entre le polar et le film d'horreur, mais impose néanmoins une vision et un style bien personnels. Ce n'est pas rien.

Précisions

Deux erreurs de ma part à signaler. La réalisatrice du film Limbo, Maria Sodahl, a fait des études de cinéma au Danemark, mais elle est norvégienne, et non pas danoise, comme je l'ai écrit cette semaine. Aussi, l'un des scénaristes de la comédie Filière 13 m'a indiqué hier que le film avait reçu du financement de Téléfilm Canada alors que le réalisateur Louis Choquette était associé au projet, ce que je n'avais pas précisé dans une chronique publiée il y a plusieurs semaines.