C'est sur le coup de midi, hier, après 10 ans de gestation, qu'a eu lieu l'inauguration officielle de l'impressionnante Lightbox, la nouvelle et rutilante cinémathèque de Toronto et nouveau quartier général de son festival de films qui a le nom de Bell tatoué partout.

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Pour l'occasion, le traditionnel ruban rouge avait été remplacé par un long ruban de pellicule 35mm que Piers Handling, PDG du festival, a sectionné de ses gigantesques ciseaux sous les applaudissements de la foule, des dignitaires et du ministre des Finances, Jim Flaherty, qui a avoué plus tard, en rougissant dans sa chemise rose, que son film préféré était Le magicien d'Oz.

Le tronçon entre les rues John et Peter sur lequel s'élève cet édifice de béton et d'acier brossé de cinq étages et accompagné d'une tour de condos de 42 étages a été fermé à la circulation. Toute la population a été invitée à visiter le nouveau palais, à manger des cupcakes gratuits et à écouter la musique de Radio Radio, de Karkwa, du rappeur somalien K'naan et de 100 Monkeys, groupe de Los Angeles qui fait craquer les jeunes filles à cause du chanteur Jackson Rathbone qui joue un des vampires dans Twilight.

Et pendant que les dignitaires sablaient le champagne, que les Torontois s'empiffraient de cupcakes, les employés en grève du Hyatt et du Fairmount défilaient en scandant des slogans et en distribuant des collants portant l'inscription: Couchez avec les bonnes personnes.

Il y a deux jours, les grévistes ont reçu l'appui inespéré de l'acteur Martin Sheen, qui a quitté le tapis rouge pour aller les rejoindre sur le piquet de grève pendant une heure. Le miracle ne s'est pas reproduit hier alors que les dignitaires, ministres et mécènes étaient trop occupés à s'autocongratuler et à célébrer la fin d'une aventure qui a duré près de 10 ans.

L'idée d'un lieu voué au cinéma d'auteur mais étroitement associé à un festival qui n'a pas peur du pop-corn ni de Hollywood a en effet germé en 2001. Après une intense campagne de financement auprès des gouvernements, mais surtout auprès des mécènes et des donateurs privés, la construction a débuté il y a trois ans. En fin de compte, la part des gouvernements n'a été que de 60 millions, alors que celle des mécènes s'élève à plus de 130 millions, et ce, malgré la crise économique et le fait que le projet était le dernier volet de la renaissance culturelle torontoise, qui a vu naître une flopée de nouveaux projets immobiliers et culturels. On ignore quels trésors de persuasion Piers Handling a dû déployer pour convaincre ses commanditaires, mais, de toute évidence, il les a suffisamment séduits pour qu'ils allongent la main à nouveau.

Reste que, si la Lightbox a bénéficié des largesses du mécénat torontois, il y a un peu du Québec dans cette boîte. L'ingénieur responsable de l'installation technique et technologique des cinq salles de cinéma est le Québécois Laurent St-Onge, qui a fait sensiblement le même travail pour Ex-Centris, à Montréal. D'ailleurs, le complexe de Daniel Langlois a joué un rôle déterminant dans l'aventure torontoise, comme l'explique Noah Cowan, directeur artistique du Lightbox.

«Quand ce projet est né, une des premières choses que nous avons faites, c'est d'aller à Montréal. Non seulement Ex-Centris a été une source d'inspiration, mais, en voyant ce qui existait déjà à Montréal, nous avons gagné du temps et évité bien des erreurs. Autant dire que nous devons une fière chandelle à Daniel Langlois.»

La contribution québécoise ne s'arrête pas là puisqu'en franchissant le seuil de l'édifice et en empruntant l'escalier blanc qui mène aux étages supérieurs, le visiteur voit un Oscar monté sur un podium dans une cage de verre. C'est l'Oscar que Denys Arcand a remporté pour Les invasions barbares. Et bien que l'ONF ait remporté quantité de statuettes pour ses films d'animation, il demeure jusqu'à ce jour le seul Oscar attribué à un long métrage canadien.

C'est la productrice Denise Robert, conjointe de Denys Arcand, qui a elle-même proposé de prêter la statuette dorée à la Lightbox pour les deux prochaines années. «C'est mieux qu'il soit là qu'au fond d'une boîte dans un placard, a-t-elle expliqué», en ajoutant que c'était aussi une façon de faire une fleur à la cinémathèque, qui avait été la première à présenter une rétrospective des films de Denys Arcand.

Le seul bémol dans cette belle histoire est que ni les films de Denys Arcand, ni ceux d'Atom Egoyan, ni encore ceux de Norman McLaren, le génie de l'animation, ne figurent sur la liste des Cent films essentiels qui seront présentés au cours de l'année à la Lightbox. La liste dressée par cinq experts du TIFF avec la collaboration de 10 000 de leurs amis et supporteurs ne compte que deux films canadiens: Videodrome de David Cronenberg et un film de l'artiste Michael Snow. «C'est purement mathématique, explique Noah Cowan. Nous avons fusionné nos deux listes et, même s'il y avait des tas de films canadiens en lice, ils n'ont pas obtenu assez de votes pour faire partie des 100.»

Qu'à cela ne tienne: Atom Egoyan présente une magnifique installation inspirée par une scène de 81/2 de Fellini dans une des salles de la Lightbox. Dans une salle voisine, Trigger du Canadien Bruce MacDonald et Les amours imaginaires de Xavier Dolan seront les premiers films à prendre l'affiche. Il ne reste plus qu'à attendre qu'un deuxième Oscar remporté par un cinéaste canadien ou québécois vienne rejoindre celui de Denys Arcand.