Lors de son récent passage à Montréal, le grand cinéaste Theo Angelopoulos évoquait la notion de «communion» entre une oeuvre cinématographique et un public. «J'accepte les nouveaux modes de diffusion, a dit le réalisateur du Regard d'Ulysse. Mais je ne les aime pas. Pour moi, le cinéma est une messe.»

À une époque où, en matière de diffusion des films, les complexes multisalles ont imposé leur mode de consommation tapageur, un tel discours peut évidemment sembler passéiste. Et même faire sourire. Il appert pourtant que certaines oeuvres bien contemporaines viennent parfois déjouer tous les pronostics. Et s'imposent au-delà de tous les enjeux. Je me rappelle cette projection de «rattrapage» de La neuvaine à laquelle j'ai assisté il y a cinq ans, où même après plusieurs semaines à l'affiche, le remarquable film de Bernard Émond faisait toujours le plein de spectateurs. Ceux-ci adoptaient d'ailleurs d'entrée de jeu, pouvait-on remarquer, une attitude recueillie, respectueuse. Comme s'ils s'apprêtaient à vivre une expérience d'ordre spirituel.

Le succès public d'Incendies relève un peu du même phénomène. L'extraordinaire bouche à oreille - favorable il va sans dire - dont bénéficie présentement le film de Denis Villeneuve témoigne du lien viscéral - et spirituel - qu'entretiennent les cinéphiles québécois avec cette oeuvre. Visiblement, la «communion» qu'évoquait Angelopoulos est ici bien tangible.

Il en est de même en France présentement avec Des hommes et des dieux, le magnifique film de Xavier Beauvois, lauréat du Grand prix du jury à Cannes il y a quelques mois. Inspiré du massacre tragique, en 1996, de sept moines français de Tibhirine en Algérie, ce drame évoque le déchirement intérieur d'hommes ayant consacré leur vie à leur foi chrétienne, alors qu'ils sont plus que jamais menacés par les groupes terroristes enflammant la région. Depuis maintenant un mois, Des hommes et des dieux trône au sommet du box-office français, laissant même sur la touche tous les prétendants hollywoodiens. Le film de Beauvois, notons-le, sera l'objet d'une présentation unique au Festival du nouveau cinéma (19 octobre à 19 h 30) et sortira en salle le 25 février 2011.

À l'heure où l'on note un aplanissement généralisé en matière culturelle, il est assez rassurant de constater que des oeuvres fortes comme celles-là puissent encore se démarquer. Les occasions de nourrir son âme se faisant de plus en plus rares, il n'y a pas lieu de s'étonner d'un aussi bel appétit...

Des Amours aimées

Autre motif de réjouissance, la très belle carrière amorcée récemment par Les amours imaginaires dans l'Hexagone. Laquelle semble vouloir emprunter une trajectoire inverse de celle qu'elle a connue ici. Au Québec, le deuxième opus de Xavier Dolan a obtenu un succès honorable en salle, certes, mais pas aussi important que celui de J'ai tué ma mère. En France, c'est tout le contraire. Malgré tout le battage médiatique dont il avait bénéficié après avoir été montré au Festival de Cannes, J'ai tué ma mère n'avait pas attiré les foules là-bas. Le lovefest médiatique s'est pourtant répété cette année. Et il semble bien que les cinéphiles français aient cette fois adopté celui que Les Inrocks appellent maintenant «le petit prodige». En une semaine à peine, Les amours imaginaires a déjà attiré plus de spectateurs dans les salles que J'ai tué ma mère pendant toute sa carrière. Quand même étrange - et salutaire - de constater à quel point les sensibilités sont imprévisibles et diffèrent d'un public à l'autre. Malgré toutes les stratégies qu'on emprunte pour mettre un film en marché, il restera toujours cette petite marge de manoeuvre dans laquelle le spectateur peut s'insérer. Et c'est très bien comme ça. Peut-être s'agit-il même du seul rempart qui lui reste en cette ère de culture mondialisée.

Pauvres acteurs

J'ai vu cette semaine une grande production hollywoodienne dont les têtes d'affiche sont de très grands acteurs. Et j'ai eu mal. Je suis convaincu que ces comédiens ont eu beaucoup de plaisir à tourner cette comédie d'action qui prendra l'affiche plus tard, là n'est pas la question. Mais j'étais quand même triste de constater à quel point les bons acteurs n'ont plus souvent l'occasion de se faire valoir - sauf rares exceptions - dans les films produits à l'intérieur du système hollywoodien. Et s'il serait bien malvenu de leur reprocher d'accepter un rôle auquel est probablement attaché un cachet beaucoup plus substantiel que celui qu'ils peuvent obtenir dans le cinéma indépendant ou au théâtre, on ne peut que déplorer ce gaspillage de talent. Qui révèle non seulement le vide abyssal dans lequel se retrouve Hollywood sur le plan créatif plus souvent qu'à son tour, mais aussi le rôle de plus en plus négligeable que tient l'acteur dans ce grand ensemble. Triste.