Les funérailles de Nicolo Rizzuto n'ont pas été célébrées au son de la musique du Parrain de Francis Ford Coppola (signée Nino Rota). La fausse rumeur a couru hier après-midi. On n'en est pas surpris.

Le parrain de la mafia montréalaise, d'origine sicilienne, a été assassiné chez lui la semaine dernière. Son fils a été condamné à 10 ans de prison pour gangstérisme, son petit-fils a été assassiné il y a moins d'un an, des proches de la famille ont été enlevés ou tués récemment. On n'en voudra pas à certains d'avoir l'impression d'avoir déjà vu tout cela au cinéma.

La vie - et la mort - des dirigeants de la mafia fascine les gens. À preuve, l'importance de la couverture médiatique et l'intérêt suscité par l'assassinat du patriarche du clan Rizzuto. Parions que le meurtre du leader d'une organisation criminelle slave ou d'un réseau terroriste pakistanais installé à Montréal n'aurait pas eu la même résonance.

Pourquoi donc? Voici «mes deux cennes», comme on dit. Une forme de romantisme est depuis longtemps associée à la mafia. Et elle ne s'explique pas que par les charmes de l'Italie. Il n'y a pas à chercher bien loin pour comprendre. Cette vision repose en grande partie, à mon sens, sur la représentation idéalisée de la mafia dans les oeuvres de fiction, en particulier au cinéma.

Déjà, en 1932, avec Scarface (dont le personnage principal s'inspirait d'Al Capone), Howard Hawks a posé les jalons d'une identification du grand public au hors-la-loi particulier qu'est le mafioso. Un gangster pouvant être confondu avec un héros en cette période de prohibition. Ce n'est pas pour rien que, dans les années 30, des dizaines de projets de films mettant en vedette des personnages mafieux ont vu le jour à Hollywood. Le genre ne s'est jamais démodé.

Aucune oeuvre, évidemment, n'a davantage contribué à la mythologie de la famiglia mafiosa italo-américaine que la série des films The Godfather, adaptée des romans de Mario Puzo. Cette grande saga shakespearienne de Francis Ford Coppola a ancré dans la culture populaire l'image romantique de la mafia sicilienne, avec ses codes d'honneur, son sens aigu de la famille et de l'église. L'élégant truand en complet trois-pièces, répondant à un credo, intraitable avec ses ennemis mais indéfectiblement fidèle à ses alliés. Jusqu'à la trahison inévitable...

Vito Corleone, incarné par Marlon Brando et Robert DeNiro (jeune), pouvait abattre un rival au revolver et tenir tendrement son bébé la minute suivante, commander l'assassinat de leaders ennemis en même temps qu'un bouquet de fleurs pour sa femme, blanchir des millions dans un casino et tout de même s'assurer qu'une vieille dame ne soit pas escroquée par le propriétaire de son logement.

Du mythe à la réalité, il n'y a souvent qu'un pas. On dit que pour son 50e anniversaire de mariage, Nicolo Rizzuto a insisté pour que le thème de The Godfather, une de ses pièces préférées, soit interprété pendant la réception. Peut-être n'est-ce qu'une autre rumeur.

Toujours est-il que plusieurs se sont demandé, en voyant les gardes du corps de la famille Rizzuto, verres fumés et cheveux gominés, conduire des berlines de luxe aux vitres teintées, si la fiction n'inspirait pas autant la réalité que l'inverse.

La vie des mafiosi ressemble-t-elle à dessein à un film de Coppola, ou est-ce le contraire? Les deux, sans doute. The Godfather était à la fois une représentation fidèle et idéalisée de l'univers des dirigeants de la pègre. Une représentation d'une telle force évocatrice qu'elle a fini par façonner notre regard collectif sur ces familles qui dirigent des organisations criminelles. Et peut-être même l'image que se fait d'elle-même la mafia, en forçant volontairement le trait de la caricature.

On dira qu'avec Mean Streets, Casino ou encore Goodfellas, l'autre grand cinéaste italo-américain de notre époque, Martin Scorsese, a proposé une vision moins romantique de la mafia que celle de Francis Ford Coppola. C'est vrai. Le regard unique et également brillant de Scorsese a cependant aussi contribué, à sa façon, au mythe de la Cosa Nostra (et aux préjugés tenaces envers la communauté italo-américaine). Comme du reste The Sopranos, excellente série télévisée de David Chase, qui présentait le rêve américain à travers la lorgnette d'un mafieux banlieusard du New Jersey (interprété avec maestria par James Gandolfini).

Plusieurs autres oeuvres, de différents genres, de la comédie au film d'horreur, se sont intéressées au mythe de la famille mafieuse, avec plus ou moins de succès et d'impact. Je pense, dans un registre particulier, au remarquable Gomorra de Matteo Garone. Ce film ultra-réaliste sur la Camorra, la mafia napolitaine, inspiré de l'essai du jeune journaliste Robert Saviano (menacé de mort et qui vit depuis sous protection policière), mettait en scène des bandits assoiffés d'argent et de pouvoir, sans aucune considération pour la vie humaine.

Un film dur, sombre, sanglant, sur une multinationale de la corruption et du crime. Sans une once de romantisme. On retient du cinéma ce qu'on veut bien retenir.