J'ai été très déçu par The Tourist. Cette adaptation d'Anthony Zimmer ne soutient pas très bien la comparaison avec le film original. Mais là n'est pas le plus important. Non. Ma déception provient surtout du fait que cette version hollywoodienne du suspense français de Jérôme Salle réunisse en vain une somme de talents remarquables. Parmi lesquels, outre Angelina Jolie et Johnny Depp, un dénommé Florian Henckel von Donnersmarck. Par souci «d'allègement», appelons-le Florian.

Après avoir offert au monde un premier long métrage remarquable (La vie des autres), le cinéaste allemand, comme tant d'autres, est allé tenter sa chance dans la célèbre usine à rêves du sud de la Californie. À mes yeux, le résultat n'est pas très concluant. Florian n'est évidemment pas d'accord. J'ai eu la chance de discuter de tout cela avec lui la semaine dernière au cours d'un entretien qu'il m'a accordé à Paris. Dans un français impeccable teinté d'un suave accent teuton, l'auteur cinéaste m'expliquait que son aventure hollywoodienne, en compagnie de deux des plus grandes stars de la planète, ne relevait pas du tout du hasard.

«Je sais que ça peut surprendre les gens de me voir revenir avec un film très glamour, dont l'unique but est de faire plaisir au spectateur, m'a-t-il confié. Même mes proches ont été surpris. Mais je tiens à explorer différentes avenues, à travailler sur des projets qui, je crois, me feront progresser en tant que scénariste et cinéaste. Vous ne me croirez peut-être pas, mais il m'a fallu déployer beaucoup plus d'efforts pour réaliser The Tourist que La vie des autres. La légèreté n'est pas une vertu naturelle pour moi. Mon instinct me pousse vers des sujets plus sombres, plus tordus. Sur le plateau, je devais toujours me faire violence pour maintenir le récit sur un mode divertissant.»

Au moment où il a reçu l'appel d'Angelina Jolie, le longiligne cinéaste - il doit bien mesurer 10 pieds - venait d'ailleurs tout juste de mettre un point final à un scénario dont le thème central est le suicide. Il s'était retiré pendant cinq semaines dans un endroit reculé en Autriche pour l'écrire.

À l'intérieur du système

Mais revenons aux sirènes hollywoodiennes. J'ai balancé au visage de Florian les noms de nombreux cinéastes étrangers qui, une fois l'Amérique gagnée, ont vécu des expériences plus ou moins glorieuses. Kusturica, Wenders, Leone, Tavernier, John Woo, et combien d'autres. À l'instar de ses compatriotes Wolfgang Petersen (Das Boot, Troy) et Roland Emmerich (2012), Florian Henckel von Donnersmarck compte plutôt se distinguer à l'intérieur même du système.

«Je ne peux évidemment pas parler pour les autres, dit-il, mais leur expérience ne correspond pas du tout à la mienne. Pour mettre toutes les chances de mon côté, j'ai d'abord voulu comprendre comment fonctionne cette machine avant de me lancer. On doit connaître son ennemi! Non, je blague...»

«Je vis à Los Angeles depuis deux ans et demi, poursuit-il. J'ai discuté avec plein de gens: Kathryn Bigelow, Oliver Stone, James L. Brooks, Paul Haggis, et bien d'autres. Je crois qu'il existe un très grand malentendu à propos du pouvoir des grands studios sur les créateurs. Bien sûr, les réalisateurs n'ont généralement pas droit au montage final (final cut), mais ils sont quand même responsables - sauf rares exceptions - de la version qui aboutit dans les salles. C'est aussi au réalisateur, je crois, de faire valoir son point de vue d'une façon convaincante. Les bonzes des studios ne sont sûrs de rien. Le cinéma est un art très subjectif. À mon avis, un film a beaucoup plus de chances de réussir si le réalisateur est heureux du résultat. Et cela, les studios le savent très bien. En tout cas, je peux dire que je me suis senti aussi libre sur le plateau de The Tourist que sur celui de La vie des autres

Gérance d'egos

Un coup parti, j'ai aussi demandé à Florian comment il s'était débrouillé au rayon de la gérance d'egos. À Hollywood, c'est bien connu, les superstars ont la réputation de faire la pluie et le beau temps sur un plateau. Et auraient tendance à considérer le réalisateur comme un simple exécutant devant se soumettre à leur vision des choses.

«C'est un autre mythe qui n'a rien à voir avec la réalité, soutient-il. Une chose comme celle-là peut peut-être arriver si la vedette du film est Paris Hilton, mais pas quand il y a de vrais acteurs devant la caméra. Au fond, qu'est-ce qu'une superstar? C'est un acteur qui a eu de la chance. Sur un plateau, Angelina et Johnny sont avant tout d'excellents acteurs. Qui n'hésitent pas à se mettre au service de l'histoire, du film et du réalisateur. Parce qu'ils veulent faire du vrai cinéma.»

Au cours de cet entretien, Florian m'a demandé s'il m'avait donné l'impression d'avoir perdu son âme en acceptant ce projet. Il est beaucoup trop tôt pour le dire. À la lumière de ce qu'il nous avait offert avec La vie des autres, son âme n'est certes pas perdue, peut-être juste un peu plus cachée. Faudra voir si elle resurgira de façon plus affirmée avec son prochain film, celui qu'il a écrit dans la patrie de Michael Haneke.

«Le tournage se déroulera dans plusieurs pays, mais le film sera de langue anglaise et mettra en vedette des acteurs américains, précise-t-il. Maintenant que je connais le système, aussi bien en profiter!»