Si Shakespeare vivait aujourd'hui, il aurait fait le voyage jusqu'à Berlin hier pour la présentation de Coriolanus, premier long métrage de Ralph Fiennes, le Voldemort de Harry Potter

Car même si le vieux Shakespeare n'a pas scénarisé ce thriller politique, même si le film se passe aujourd'hui, dans une ville envahie par les chars d'assaut, des portables, des antennes satellites et des nouvelles continues diffusées sur les bandes passantes des chaînes d'infos, les dialogues ne trompent pas: ils sont de Shakespeare du début jusqu'à la fin.

Tourner Shakespeare dans le texte, dans une ville moderne en guerre, voilà le pari fou imaginé par l'acteur britannique Ralph Fiennes. Le pari n'était pas évident, mais l'acteur devenu réalisateur l'a relevé avec brio, grâce à une mise en scène nerveuse et dynamique, à un scénario efficace de John Logan (scénariste de Gladiateur) et à une superbe brochette d'acteurs dont le beau Gerard Butler de 300, la poignante Vanessa Redgrave, Fiennes lui-même dans la peau de Coriolanus et, dans le rôle d'une militante survoltée, Lubna Azabal, que les Québécois ont découverte dans Incendies.

Coriolanus est l'histoire d'un héros maudit, un général-samouraï qui ne brille que sur le champ de bataille. Poussé par l'ambition de sa mère dans l'arène politique où il échoue lamentablement, il décide de se venger en pactisant avec son pire ennemi et en envahissant la ville qu'il a autrefois défendue. Bref, il est l'équivalent de Wolfe qui se retourne contre les siens et qui passe dans le camp de Montcalm.

Ralph Fiennes a eu l'idée audacieuse de porter Coriolanus à l'écran, il y a 10 ans, en incarnant le général maudit au théâtre, à Londres. «La dernière chose que je voulais faire, c'était un film d'époque de la Rome antique. Sans compter qu'au cours des 10 dernières années, les images que j'ai vu défiler à la télé depuis le 11 septembre en passant par l'Irak et l'Afghanistan m'ont confirmé que Coriolanus est une histoire de maintenant», a-t-il confié en conférence de presse. Pour Vanessa Redgrave, jouer Shakespeare dans le texte devant la caméra ne posait aucun problème. «C'est une langue que je pratique depuis longtemps et qui sort de ma bouche comme si elle venait de moi», a-t-elle dit, pendant que Gerard Butler opinait du bonnet, encore pâmé par cette grande actrice qu'il n'a cessé d'observer pendant le tournage à Belgrade, en Serbie.

Ralph Fiennes a tellement aimé son expérience qu'il rêve maintenant de tourner Cléopâtre, quelque part entre Rome et Le Caire. Il n'a pas encore de scénariste ni de producteur. Seulement un dialoguiste du nom de Shakespeare.

Khodorkovsky, l'oligarque sanctifié

Projections supplémentaires, bousculades, conférence de presse houleuse, le film événement hier était un documentaire, victime de deux cambriolages suspects et qui a bien failli ne jamais être présenté à Berlin. Tout simplement intitulé Khodorkovsky, le film porte sur l'oligarque et magnat du pétrole Mikhail Khodorkovsky, qui fut autrefois l'homme le plus riche de la Russie avant d'être accusé d'évasion fiscale et d'être envoyé dans une prison en Sibérie où il croupira jusqu'en 2016.

Réalisé par Cyril Tuschi, jeune cinéaste allemand d'origine russe, le film dédouane et, en quelque sorte, sanctifie l'homme de 8 milliards, ami des Bush, qui a fait fortune en fondant la première banque privée russe puis en se lançant dans le pétrole.

Sa grande erreur fut de défier publiquement Vladimir Poutine, en finançant les partis de l'opposition, mais surtout en lui demandant devant les caméras de mettre fin à la corruption. Peu de temps après, lors d'un retour des États-Unis, des policiers armés ont fait irruption dans son jet privé et l'ont arrêté. Khodorkovsky avait été prévenu. Il aurait pu choisir la fuite et l'exil. Il a préféré revenir en Russie et devenir un symbole de la lutte contre l'autoritarisme de Vladimir Poutine.

Le film lui est très favorable, ce qui a provoqué un échange acrimonieux entre le réalisateur et un journaliste ukrainien qui lui a reproché d'avoir fait une victime d'un homme coupable devant la loi. Une des protagonistes du film, ancienne employée de Khodorkovsky et membre de son comité de soutien, a alors vertement rappelé à l'Ukrainien qu'il n'y avait ni loi ni justice en Russie, ni diversité politique non plus, et que l'exemple de courage et de résistance de Khodorkovsky est ce dont la Russie a le plus besoin en ce moment.

Plus tôt hier matin, le film russe Samedi innocent, portant sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986, évoquait une autre époque, mais le même État totalitaire. Morale de la journée hier: ce n'est pas parce qu'un mur est tombé à Berlin qu'il n'en reste pas plusieurs à abattre dans la Russie de Poutine.