La Soirée des Oscars approche. C’est le temps des prédictions. En voilà une: Incendies ne gagnera pas l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, le 27 février.

Une autre encore? Biutiful,  «favori» de la catégorie, très beau film d’Alejandro Gonzalez Iñarritu, ne l’emportera pas non plus. Même si Iñarritu est un nom favorablement connu dans les cercles cinéphiles, que son premier long métrage, Amores Perros, a été sélectionné pour le même prix en 2001, que Babel fut un candidat sérieux à l’Oscar du meilleur film en 2007 et que ce cinéaste d’exception n’a encore jamais été récompensé par l’Académie des arts et des sciences du cinéma.

Digression: Colin Firth, selon toute vraisemblance, remportera une statuette dorée pour son rôle de roi bègue dans The King’s Speech. Tout le monde considère son couronnement comme une formalité, à commencer par les acteurs eux-mêmes, qui l’ont plébiscité à l’occasion des prix de la Screen Actors Guild, un indicateur fiable s’il en est des résultats des Oscars.

Colin Firth a beau être un comédien formidable, Javier Bardem offre selon moi la performance d’acteur la plus saisissante de la dernière année. Bardem, on m’excusera l’utilisation du cliché, crève l’écran dans Biutiful. Même avec une coupe Longueuil, une veste difforme, le pantalon maculé, j’ai rarement vu un acteur faire plus fortement sentir sa présence, son aura, son sex-appeal au cinéma. Dans l’œil d’Iñarritu, il est électrique. Fin de la digression.

Pourquoi pas Biutiful, alors? Et pourquoi pas Incendies? Une question de feeling, comme dirait Richard Cocciante. Dans les faits, je n’en sais rien du tout. Prédire le gagnant dans cette catégorie est aussi hasardeux que de statuer, un 19 février, sur le prochain champion de la Coupe Stanley.

L’Oscar du meilleur film en langue étrangère est souvent remis au film que l’on attendait le moins. Le thriller argentin El secreto de sus ojos, cousu de fil blanc, a été préféré l’an dernier aux poids lourds Un prophète et Le ruban blanc. En 2009, Valse avec Bachir et Entre les murs avaient été coiffés au poteau par Okuribito. Difficile, dans les circonstances, de parler de «favoris».

Incendies, comme Biutiful, a donc une chance sur cinq de remporter un Oscar. Même si je serais tenté de dire «une chance sur trois», comme l’a fait l’ami Lussier dans son blogue de Cyberpresse, cette semaine.

Il m’apparaît plus qu’improbable que Canine, film grec assez tordu merci, récompensé en 2009 de la Louve d’or au Festival du nouveau cinéma de Montréal, puisse plaire à un nombre suffisant d’électeurs. Cette proposition singulière, faisant autant dans l’absurde que dans le sordide (de rapports incestueux, entre autres), se trouve à des lieues de l’académisme parfois ronflant prisé par l’Académie. Mais pour le dire crûment, sans mauvais jeu de mots, le film est trop «fucké» pour remporter un Oscar. La droite américaine a crié au scandale pour le centième de ce que l’on trouve dans cette tragicomédie du jeune Giorgos Lanthimos.

Quant à Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, que je n’ai pas vu (il n’a pas encore été acheté par un distributeur québécois), on en a unanimement dit tellement de mal au dernier Festival de Cannes que personne n’ose lui donner la moindre chance. Au risque de me répéter, il en a tout de même une, dans une catégorie où l’on semble tirer au hasard des gagnants d’un chapeau.

À qui ce fameux Oscar, alors? Je parie un p’tit 2$ sur In A Better World, de la Danoise Susanne Bier. Pas parce qu’il s’agit du meilleur film du lot, même si c’est un bon film, mais parce qu’il a été réalisé par une cinéaste de bonne réputation (sa filmographie compte entre autres After the Wedding et Brothers), soutenue par un distributeur, Sony Pictures Classics, qui a une impressionnante feuille de route aux Oscars.

Sony Pictures Classics a entre autres distribué le lauréat de l’an dernier dans la même catégorie, ainsi qu’Incendies, de Denis Villeneuve. La rumeur veut qu’entre ses deux candidats oscarisables, le distributeur aurait accordé la priorité à In A Better World, déjà lauréat du Golden Globe du meilleur film étranger et considéré comme ayant une longueur d’avance.

Je parie surtout sur In A Better World, drame familial campé au Danemark et en Afrique, parce que c’est «le genre de film» qui remporte d’ordinaire des Oscars. De la même façon que l’est The King’s Speech, favori pour remporter l’Oscar du meilleur film. Un récit un peu fleur bleue, bien mené, bien interprété, classique, intelligent, soutenu par de belles images, avec une morale à la clé.

Bien sûr, si Incendies l’emporte, j’en serai le premier ravi. Et c’est un euphémisme. Avec un chauvinisme assumé, je croise les doigts. En pensant que personne ne mérite mieux cet honneur que Denis Villeneuve.