Personne, dit-on, ne fait un film en souhaitant qu'il soit mauvais. Il y a pourtant des films tellement ratés, tellement pétrifiants de maladresse qu'on se demande s'il n'y a pas quelques adeptes sardoniques d'un second degré absolu pour, justement, le faire exprès. Juste pour rire.

J'ai vu un thriller québécois, hier, qui passerait volontiers pour un téléfilm cubain de série B si l'on n'y reconnaissait quelques acteurs bien de chez nous. Une succession de lieux communs et de dialogues désincarnés, à faire roucouler de plaisir les amateurs de propositions psychotroniques. Que personne, en cours de production, n'ait jugé bon de lever le drapeau rouge (ou le drapeau blanc) en anticipation d'un tel four est sidérant.

Souffrir Angle mort, film de genre sans queue ni tête, m'a renvoyé à une conférence à laquelle j'ai participé, jeudi dernier, dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois (RVCQ), sur le thème «Critiques et cinéastes: un vrai dialogue est-il possible?».

Possible? Ça a l'air que oui. La discussion a duré deux heures. Dans la salle, archi-comble, comme sur scène, plusieurs critiques et cinéastes s'étaient donné rendez-vous (c'était de circonstance), parmi lesquels Martin Bilodeau du Devoir, Helen Faradji de 24 images, Denis Côté, Podz, Philippe Falardeau, Alain Desrochers, etc.

Alain Desrochers, dont le film Gerry prendra l'affiche l'été prochain, a d'ailleurs posé la question censée tuer: qu'est-ce qui distingue un film commercial d'un film d'auteur? Lui-même ne semblait pas faire la distinction. Je n'ai pas voulu me lancer dans des explications hasardeuses, me contentant de répéter qu'un mauvais film est un mauvais film, et un bon film un bon film, qu'il soit d'auteur ou commercial. À défaut d'être original ou transcendant, je suis conséquent.

Mes confrères ont été plus courageux, reconnaissant le film commercial à son absence d'ambition artistique et à l'utilisation de formules établies. Il s'est même trouvé un cinéaste - Denis Côté pour ne pas le nommer - pour dire qu'un mauvais film d'auteur est plus souffrant encore qu'un mauvais film commercial.

Je comprends ce qu'il veut dire. Même si j'ai passablement souffert hier, en découvrant l'archétypal mauvais film commercial, qui se contente de recycler des formules hollywoodiennes usées à la corde (le méchant a l'air mort, il n'est pas mort; les héros se tirent d'affaire trois secondes avant l'explosion, etc.) et dont la québécitude se concentre tout entière en deux mots: «crisse» et «tabarnak».

À mon sens, une vision d'auteur, même mal développée, aura toujours le mérite de tendre vers l'art. Le commerce, en revanche, a pour essence de tenter de vendre un produit. Quand le produit, de piètre qualité, ne se vend pas, il ne reste malheureusement pas grand-chose. Sinon matière à réflexion.

Le million perdu

Parlant de commerce, on m'a dit, lors de cette rencontre des Rendez-vous, qu'un producteur prétendait avoir perdu un million de dollars sur un film cette année en raison de l'une de mes critiques défavorables. Il y a quelques années, un distributeur a reproché la même chose au collègue Marc-André Lussier.

M'est avis que l'on prête aux critiques un pouvoir qu'ils n'ont pas. Et qu'on leur accorde, surtout, une importance et une influence démesurées. Alain Desrochers en a fait la démonstration, jeudi, en relatant son propre parcours de cinéaste.

Le premier long métrage de Desrochers, La bouteille, bien accueilli par la critique, a fait chou blanc aux guichets en 2000. Il a mis des années à s'en remettre, avant de se lancer dans le cinéma commercial, avec Nitro (2007), un succès populaire... éreinté par la presse. Son dernier-né, Cabotins, plutôt bien reçu par les journalistes l'an dernier, n'a pas vraiment trouvé son public. «J'espère que les critiques de mon prochain film seront mauvaises!» a-t-il conclu, mi-figue, mi-raisin.

J'entendais la veille de la conférence, dans un reportage sur la critique de cinéma à l'émission Voir (Télé-Québec), ma consoeur Manon Dumais rappeler le cas d'espèce de deux films, C.R.A.Z.Y. et Aurore, sortis en 2005. Le premier a été encensé par la critique; le deuxième assez mal reçu. Résultat des courses? Le même nombre de spectateurs sont allés voir les deux films en salle, à quelques centaines de personnes près. Dans les dents, la critique.

Un bijou

Il ouvrait les Rendez-vous la semaine dernière, il a remporté mérité un prix oecuménique au Festival de Berlin (dans la section Forum) et il a pris l'affiche vendredi, mais si je peux me permettre...En terrains connus de Stéphane Lafleur est un bijou de film d'auteur (pour rester dans la thématique de cette chronique), d'un humour noir irrésistible.

Le cinéaste de Continental, un film sans fusil pose de nouveau son regard fin, sans condescendance ni complaisance, sur les misères ordinaires. Un couple qui s'effrite. Un jeune homme (Francis La Haye, excellent) atteint dans sa masculinité, déprécié par son père, à qui rien ne sourit. Un homme du «futur» comme ressort dramatique inédit à un récit hyper réaliste. Et un road trip qui va tout bousculer.

La mise en scène fluide et précise de Stéphane Lafleur met en valeur son sens aigu de l'observation et du détail. Son scénario tragicomique est pétri d'ironie et d'intelligence. Fanny Mallette est resplendissante. Voilà un très beau film.