«Très honnêtement, vous m'avez sérieusement gonflé avec ça!» L'occasion était trop belle. Le réalisateur m'a regardé en esquissant un grand et beau sourire. Avec l'air de celui qui avait probablement déjà tout entendu à propos de son film, mais à qui personne n'avait encore fait valoir cet aspect des choses en cours d'entrevue. Quand ils débarquent au Québec, les créateurs français sont parfois étonnés par notre interprétation de certains de leurs choix artistiques. Ou par notre vilaine manie de nous attarder à des détails qui leur paraissent insignifiants. Comme l'usage de l'anglais dans leurs films, par exemple.

Guillaume Canet, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est visiblement un homme de goût. Son film à succès Les petits mouchoirs, à l'affiche aujourd'hui, fait partie de ces oeuvres qui, malgré leurs défauts, vous accrochent instantanément la nostalgie au coeur. Et vous donnent l'irrépressible envie d'appeler un ami pour lui dire ce que la pudeur vous empêchera toujours de verbaliser.

Mais revenons à notre conversation. Très sensible à l'aspect musical de ses productions, un peu comme Jean-Marc Vallée, Canet a choisi de tapisser son film d'excellentes chansons, puisées à même le répertoire rock, soul, et rythm'n'blues des années 60 et 70: The Isley Brothers, Gladys Knight and the Pips, The Band, The McCoys, Bowie, Janis... Des artistes plus contemporains comme Ben Harper et Damien Rice se font aussi entendre au fil des deux heures et demie de projection. Que du bon.

Mais voilà. Il semble que la culture francophone ait été complètement évincée de la vie de ces trentenaires en vacances au Cap Ferret. Même quand un invité musicien descend de Paris et qu'on lui demande spontanément de chanter quelque chose à table, c'est tout naturellement dans la langue de Shakespeare qu'il s'exécute. D'où le «gonflage» évoqué au début.

«Personnellement, j'adore la musique des années 70, a expliqué l'auteur cinéaste. Je me sens très proche de cette culture-là. Je n'accroche pas tellement à la pop contemporaine, encore moins à ce qu'on peut entendre actuellement en français. À part Mathieu Chédid, peut-être. Qui avait d'ailleurs signé la musique de mon film précédent. Là, j'ai tout simplement choisi des pièces qu'un groupe d'amis prendrait plaisir à entendre pendant les vacances.»

Un créateur est bien entendu libre de ses choix artistiques. Mais, comme nous l'avions déjà évoqué ici il n'y a pas si longtemps, la somme collective de ces choix finira sans doute un jour par peser très lourd. Dans son film, Canet dresse le portrait d'une génération qui semble avoir tout cédé à la culture dominante, forcément plus cool. Pas étonnant, dans ces conditions, que la culture française - et francophone - ne s'illustre pratiquement plus qu'à travers des oeuvres du passé.

«Comme tout le monde, je vois bien que la culture française ne rayonne plus qu'à travers ses vieilles choses, concède Canet. Moi aussi, j'adore les chansons de Piaf et d'Aznavour. J'aimerais bien trouver des pièces aussi fortes dans le répertoire français contemporain. Mais ce n'est pas le cas. Et puis, je ne veux pas souligner à gros traits une scène avec une chanson dont les paroles se juxtaposeraient à l'action.»

On peut souscrire - ou pas - à son argumentation. N'empêche que ça nous gonfle un peu quand même. Cela dit, on vous aime pareil, monsieur Canet.

Un cru riche et raffiné

On s'est parfois ému, hier, du fait qu'aucun film québécois n'a été retenu dans la sélection officielle du Festival de Cannes. Il n'y a pourtant là aucune surprise. La présence nationale se fera plutôt valoir du côté de la Quinzaine des réalisateurs cette année, notamment grâce à la sélection de La nuit, elles dansent, le plus récent documentaire du tandem Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault (Junior), qui s'immisce cette fois dans le monde des danseuses exotiques en Égypte.

On ne dira jamais assez le caractère très sélect - et prestigieux - d'une invitation au Festival de Cannes, surtout du côté de la sélection officielle. Au total, 1715 films ont été soumis, puis vus par le comité organisateur du Festival. Seuls 49 d'entre eux (en incluant les films hors concours et les séances spéciales) ont obtenu leur ticket d'entrée.

Grâce à ses Amours imaginaires, Xavier Dolan avait eu droit à une sélection à Un certain regard l'an dernier, mais aucun cinéaste québécois n'a été invité à concourir pour la Palme d'or depuis Denys Arcand et ses Invasions barbares en 2003. Quatre ans plus tard, L'âge des ténèbres était présenté hors compétition à la soirée de clôture. Les sélectionneurs ayant déjà Dolan à l'oeil, il ne serait pas étonnant qu'on lui ouvre toutes grandes les portes du Palais l'an prochain pour le lancement de Laurence Anyways, présentement en tournage. Espoir, donc.

En attendant, le cru cannois 2011 se révèle aussi riche que raffiné. Et nous fait déjà rêver.