Il est arrivé le dernier sur le tapis rouge, la silhouette frêle et chétive, au bras de sa compagne. Applaudi par une mer de curieux. Grand maître au dos voûté, les lunettes rondes réfléchissant une salve de flashes de photographes en smoking, comme lui.

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On ne saurait deviner, à sa démarche fragile, à son teint blafard et à son humeur chagrine, que Woody Allen a écrit et réalisé certains des films les plus comiques du dernier demi-siècle.

Son plus récent long métrage, Midnight in Paris, présenté en ouverture du 64e Festival de Cannes hier soir, commence mal. Avec une interminable série de clichés de la Ville lumière; cartes postales rose bonbon laissant présager la plus quétaine des déclarations d'amour.

On excusera ce faux pas au cinéaste de Crimes and Misdemeanors tellement Midnight in Paris, charmant et amusant, est une parfaite entrée en matière à un festival de cinéma. Drôle et spirituel, c'est un film sur le thème de la nostalgie qui, sans être de la trempe des Manhattan et autres Annie Hall, est à ranger, dans la cinématographie inégale du vieux Woody, 75 ans, du côté des «bons».

On y trouve Owen Wilson dans le rôle d'un scénariste hollywoodien blasé, Gil, en voyage à Paris avec sa fiancée et ses beaux-parents. Cet incorrigible romantique se questionne sur sa vie et ses ambitions littéraires, tout en regrettant de ne pas avoir vécu à une autre époque: celle des nuits folles du Paris des années 20.

Cette époque, il pourra s'en imprégner grâce à l'imagination fertile de l'auteur de The Purple Rose of Cairo, qui mélange allégrement le vraisemblable et l'invraisemblable, la vie réelle et la vie fantasmée, le présent et le passé, pour s'amuser de la rencontre de Gil avec ses idoles littéraires exilées à Paris: F. Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, T.S. Eliot, etc.

Ode à la beauté de la capitale française, Midnight in Paris multiplie, au-delà des clichés visuels de son prologue, les répliques truculentes et les clins d'oeil historiques. Le voyage est à ce point agréable que l'on en excuse la réalisation convenue et la morale surlignée - l'herbe n'est pas plus verte chez le voisin.

Owen Wilson se tire très bien d'affaire en alter ego (moins névrotique) du cinéaste. Michael Sheen est excellent en ami pédant de la fiancée de Gil, interprétée avec juste assez de bagou par Rachel McAdams. Et Marion Cotillard est séduisante de subtilité dans le rôle d'une égérie des artistes de l'époque (Modigliani, Braque, Picasso), dont la beauté classique émeut tout un chacun.

La Québécoise Karine Vanasse a, tel que prévu, une petite participation dans le film (une réplique). On la voit si brièvement à l'écran que deux collègues québécois, clignant peut-être des yeux, l'ont ratée. Midnight in Paris compte aussi au générique la première dame de France, Carla Bruni-Sarkozy, en guide du musée Rodin. L'ex-mannequin et chanteuse, soeur de l'actrice Valérie Bruni-Tedeschi, joue malheureusement faux. À chacun son métier. «Elle m'a dit qu'elle avait beaucoup aimé le résultat, et la façon dont elle avait été photographiée», a précisé hier le cinéaste, en conférence de presse. Pas de farce.

Woody Allen s'est fait plaisir avec son cinquième film à inaugurer le Festival de Cannes. En filmant Paris dans tous ses états: la nuit, le jour, hier et aujourd'hui, au soleil et sous la pluie (ce qu'il préfère). «Je voulais tourner à Paris, mais je ne savais pas ce que je voulais filmer, a-t-il confié, avec son accent new-yorkais à couper au couteau. J'ai trouvé un titre que j'aimais, Midnight in Paris, mais je ne savais pas ce qui arriverait à minuit à Paris! J'ai eu de la chance. J'aurais pu penser à autre chose, qui aurait fait un très mauvais film. J'aurais pu ne penser à rien du tout. Ou j'aurais pu changer de titre...»

Les capitales européennes, décidément, sourient à Woody Allen depuis quelques années. Après Match Point et Scoop, tournés à Londres, Vicky Cristina Barcelona, filmé dans la capitale catalane, et Midnight in Paris, le cinéaste s'apprête à tourner Bop Decameron à Rome, une comédie avec Roberto Benigni, en anglais et en italien. Il a également reçu une invitation à camper un prochain film à Berlin.

«J'ai été très influencé, plus jeune, par le cinéma européen, dit-il. Pas seulement européen, mais étranger. Le cinéma italien et suédois, celui de Buñuel et de Kurosawa, de Godard, de Truffaut et de Resnais. Aux États-Unis, le cinéma est une industrie visant à faire de l'argent. En Europe, c'est un art.»

Vous considérez-vous enfin comme un artiste? lui a demandé un journaliste. «Non. Je me considère surtout comme un cinéaste chanceux. J'aspire toujours à être un artiste, mais je n'ai ni la profondeur ni la substance d'un Buñuel, d'un Fitzgerald ou d'un Fellini. Je n'ai pas leur talent. C'est très clair. Je peux faire des films. Certains d'entre eux ne sont pas mauvais...»

La couleur tendance

Vous l'aurez lu ici en premier. La couleur tendance cette année à Cannes est le blanc (c'est-à-dire pas de couleur, non?). Celui de la robe de la jurée Uma Thurman, «la sublime interprète de Kill Bill et de Pulp Fiction», comme l'a rappelé l'animateur de la montée des marches. L'actrice était majestueuse hier sur le tapis rouge de Midnight in Paris, en robe bustier blanche Versace, plumes assorties, et des boucles d'oreilles comme des sapins de Noël (moins sûr). Je lui décerne la Palme de l'élégance 2011 - même si je ne connais rien à la mode. Prix spécial du «beau bonhomme» à Jude Law, aussi juré de la compétition, pour être équitable et faire plaisir à ma blonde. C'est vrai qu'avec son noeud papillon blanc et ses verres fumés, il l'avait, l'affaire.