Le premier tome de la trilogie The Hunger Games de l’Américaine Suzanne Collins s’est vendu à plus de 26 millions d’exemplaires dans le monde. Et c’est tout naturellement que le long métrage qui en a été tiré par Gary Ross, à l’affiche vendredi, suscite un engouement hors du commun chez les adolescents.


Mais attention : The Hunger Games n’est pas fait du même sirop de vampires romantiques que Twilight, ni de la même magie fantasmée que Harry Potter. « La comparaison s’arrête là », écrit avec raison ma collègue – et spécialiste en littérature jeunesse – Sonia Sarfati (dont vous pouvez lire la critique du film ici).


The Hunger Games
est un film violent, sinistre et effroyablement « réaliste », mettant en scène des jeunes de 12 à 18 ans qui s’entretuent en direct à la télévision, sans états d’âme. La guerre des tuques rencontre Survivor, version meurtrière.


Dans un avenir plus ou moins rapproché, au cœur d’une Amérique d’après-guerre civile, 24 adolescents de 12 « districts » s’affrontent dans une téléréalité sordide, The Hunger Games. Au final, il ne reste qu’un seul gagnant, un survivant.


Ce jeu télévisé morbide, extrêmement populaire, se déroule sous l’œil malveillant d’un président (Donald Sutherland) qui sacrifie chaque an 23 enfants du pays – pour en épargner un seul – afin de mieux régner sur la population. « L’espoir est la seule chose plus forte que la peur », dit-il.


Il n’est pas question que de cela dans The Hunger Games, mais le film de Gary Ross (Pleasantville, Seabiscuit) se pose en métaphore de la téléréalité et de ses excès.

Dans chacun des 12 districts miséreux, qui rappellent les camps de la mort, un garçon et une fille sont choisis par hasard. Après avoir séjourné quelques jours dans de luxueux appartements, façon Occupation double, après avoir été adulés par la population, façon Star Académie, ils auront chacun une chance sur 24 de survivre. Marche ou crève, comme dirait Stephen King.


Ces enfants indigents, après l’illusion des buffets à volonté, sont laissés à eux-mêmes dans une forêt menaçante, réduits à leurs instincts primaires. Esclaves des désirs d’un « meneur de jeu » (Wes Bentley), façon Loft Story, qui manipule les intrigues, monte les concurrents les uns contre les autres et modifie les règles en cours de route, sous le regard d’un animateur populiste aux dents trop blanches (Stanley Tucci). Et de spectateurs qui peuvent intervenir pour sauver ceux qui sont mis en danger (littéralement). On connaît la chanson...


« Si les gens arrêtaient de regarder, il n’y aurait plus de jeu », dit son amoureux à Katniss Everdeen (Jennifer Lawrence, révélée par l’excellent Winter’s Bone), l’héroïne du roman et du film.


Ils sont malheureusement des millions à observer la mise à mort de ces jeunes gladiateurs, qui se prennent au jeu de la célébrité et de la séduction du public, par stratégie, par orgueil ou par instinct de survie. Malgré eux au service de la société du spectacle qui, dans sa recherche constante d’émotions fortes, en est à réclamer non seulement du sang, mais des vies, en direct, à la télévision.


Comme spectateur du film, on tente de se consoler en se disant qu’on n’en est pas là. Avant de se rappeler que dans les faits, on n’en est pas si loin. Sinon dans les gestes, du moins dans l’esprit.


Victimes collatérales
The Hunger Games est une caricature obligatoirement cynique de ce qu’est devenu aujourd’hui le divertissement télévisuel. C’est-à-dire contempler des gens filmés en quasi permanence, vivre, pleurer, se disputer, s’aimer et s’humilier publiquement, pour le bon plaisir de millions de voyeurs qui se complaisent à vivre ces émotions par procuration.


De jeunes gens que l’on envoie, et pas seulement métaphoriquement ici, directement à la boucherie. Victimes collatérales de la guerre des cotes d’écoute. Quantités négligeables dans la grande machine du show-business.


Paradoxalement, The Hunger Games est une œuvre qui se sert abondamment des codes qu’elle dénonce. À la fois dans la critique de la violence et dans l’exploitation de la violence. On a beau être devant un blockbuster hollywoodien, on reste perplexe devant autant d’enfants tués à coups de couteau. D’autant plus qu’ils sont massacrés sans émotion, comme dans un jeu vidéo, de manière à parfaitement banaliser la vie humaine.


Il reste que The Hunger Games, un film d’anticipation hollywoodien assez conventionnel dans sa forme, propose une réflexion sur notre société, ce qui n’est pas donné à tous les blockbusters destinés à un jeune public. Un public bombardé de téléréalité, apprêtée à toutes les sauces, présente dans toutes les formes de programmation.


De la téléréalité qui n’est pas qu’un genre, avec ses codes et ses mécanismes, mais aussi un reflet de notre société et de nos valeurs. Un miroir de nous-mêmes, de ce que nous considérons collectivement comme acceptable, et des limites du mauvais goût, que nous ne semblons pas près d’atteindre. Ça, ce n’est pas de la science-fiction.