La première fois que je l'ai interviewée, m'autorisant d'une certaine complicité entre nous, j'ai suggéré que la conversation passe du «vous» au «tu». «Je préfère le vouvoiement», m'avait-elle répondu de manière très élégante, de ce grand sourire qui accentue son regard pétillant de jeune fille.

Rarement ai-je rencontré une artiste plus discrète, plus réservée, que Macha Limonchik. Aussi, je me suis demandé comment une femme aussi pudique elle se référait à son auteur d'amoureux par son nom complet, Stéphane Bourguignon avait pu accepter de jouer son propre rôle dans une série télévisée.

Pas n'importe quelle série. Une autofiction où ses prétendus travers sont mis en évidence, les camouflets à son orgueil étalés au grand jour, ses déboires amoureux scrutés à la loupe. Une confusion entre la vie réelle de l'actrice et celle, fictive, de son personnage allait nécessairement naître de cet exercice périlleux (qui a d'ailleurs failli porter son nom: Macha and Friends).

Ces dernières années, j'ai aussi interviewé les «friends» de Macha. Valérie Blais, d'une timidité que l'on ne devine pas au ton tranchant de son alter ego télévisuel. Éric Bernier, nettement plus posé en chair et en os que sur mon écran plat. D'excellents acteurs qui ont pris plaisir à se jouer de ce flou artistique sur leur véritable identité, en multipliant les quiproquos et les cocasseries.

Stéphane Bourguignon, observateur privilégié des tribulations de ce trio d'amis, s'est laissé porter par l'évidence d'un potentiel comique et dramatique inouï. Par une matière riche en soubresauts improbables, qu'il a su pétrir finement, en alliant le vrai et le faux dans un casse-tête inextricable.

L'auteur ne croyait sans doute pas qu'il en tirerait cinq saisons d'une série aussi délicieuse, mise en scène de façon inventive par Stéphane Lapointe. Tout sur moi s'achève cet automne. Éric, Macha et Valérie (les faux) quitteront leurs appartements avant Noël. Laissant un vide. Restera une amitié. La leur, bien sûr, mais aussi la nôtre, authentique, avec ces personnages drôlement imparfaits, plus qu'attachants, irrésistibles.

J'appréhende déjà la fin de leurs humiliations hebdomadaires avec un pincement au coeur. Je me console en me disant qu'il y a trois ans, on avait déjà failli perdre nos amis, pour cause de pénurie de financement (version officielle) et parce que les cotes d'écoute de Tout sur moi n'ont jamais été faramineuses (environ 500 000 téléspectateurs, bon an mal an).

La série avait été sauvée in extremis, l'enveloppe du Fonds canadien de la télévision aidant, une campagne spontanée sur Facebook ayant rapidement attiré 3400 «amis» n'ayant sans doute pas nui à la cause. Je me revois, fraîchement mis au parfum la nouvelle de cette disparition appréhendée, la relayant à l'ami Hugo Dumas en lui disant: «Il faut faire quelque chose!» Merci Hugo pour cette chronique.

Si la cote d'écoute de Tout sur moi n'est pas extraordinaire, sa cote d'amour l'est, elle, sans conteste auprès d'un bassin de fans irréductibles. Succès d'estime incontestable pour une série culte qui fut classée au 6e rang des meilleures émissions québécoises de la dernière décennie par les critiques de La Presse... malgré les railleries de ceux qui la trouvent trop «plateaucentriste» (du Plateau Mont-Royal).

On a pu avoir l'impression que Tout sur moi s'essoufflait un peu à sa quatrième saison, que certaines intrigues semblaient moins inspirées, même si le bonheur de retrouver Macha, Valérie et Éric demeurait intact. Stéphane Bourguignon a senti qu'il fallait boucler la boucle, ayant épuisé ce que le filon avait de plus riche à offrir. Il nous réserve bien des surprises au cours des prochaines semaines. Une «grosse catastrophe», comme le laisse entendre Éric Bernier? Non, ce ne sera pas sans douleur qu'il faudra faire nos adieux à nos amis.

Tout sur moi : le jeudi à 21h30, dès le 15 septembre, à Radio-Canada.