Il n'y a rien comme le temps des Fêtes pour se sentir vieillir. Dîner de Noël dans la belle-famille. Un petit cousin éloigné, 18 ans à peine, me lance de but en blanc: «Je vous envie d'avoir vécu l'âge d'or du rock'n'roll: les Beatles, Led Zeppelin...»

Ayoye! comme dirait la pharmacienne dans la pub télé. Je n'étais pas né quand les Beatles se sont séparés. Et si j'ai trippé à l'adolescence sur Led Zep - un poster de Jimmy Page trônait dans ma chambre -, c'était bien après la mort de John Bonham, pour pallier la pénurie de guitares dans la musique populaire des années 80.

Mes cheveux ont beau grisonner à vue d'oeil, être confondu avec un baby-boomer par un étudiant qui a la moitié de mon âge m'a foutu un coup de vieux insoupçonné. Heureusement que, quelques jours plus tard, dans notre série consacrée aux «nouveaux visages» de 2011, on décrivait le cinéaste Sébastien Pilote comme un «jeune réalisateur de 37 ans». On se console comme on peut.

J'ai repensé hier au cousin éloigné, à sa remarque sur Led Zep, à notre discussion qui s'est poursuivie dans l'auto, après que j'eus proposé de le raccompagner. Garçon brillant, allumé, assoiffé de riffs, découvrant une caverne d'Ali Baba de propositions musicales: Radiohead, Weezer, Pixies...

Je lui ai envié à mon tour son statut d'enfant dans un magasin de bonbons. J'ai repensé au bonheur que j'avais eu, à 14 et 15 ans, à dénicher des pépites dans la collection de disques de mon père: les Beatles, bien sûr, les Stones, Zeppelin, Santana, Janis, même Alice Cooper. Puis j'ai tenté très peu subtilement de l'impressionner en déballant ma feuille de route défraîchie, avec le ton d'Agecanonix se remémorant la bataille de Gergovie. J'y étais, moi, vous savez...

Arcade Fire? Sûr que je les connais. Les ai croisés l'autre jour; mangeaient de la crème glacée. J'ai dû les voir une quinzaine de fois en spectacle. La dernière fois, c'était à Sherbrooke, pour la première mondiale (j'ai insisté sur «première mondiale») de The Suburbs. Les ai même suivis, à leurs débuts, en tournée en Angleterre. On n'était pas plus d'une centaine dans une petite salle de Birmingham. Aujourd'hui, ils remplissent le Madison Square Garden...

Ayant légèrement capté son attention - «Oui, petit, j'ai déjà vu les Pixies en show» -, j'ai déballé l'artillerie lourde: Nirvana à Verdun, cinq mois avant la mort de Cobain, le soir même où Radiohead jouait juste à côté d'ici, dans un petit bar de la Main qui n'existe plus: le Woodstock. J'y étais, j'ai vu. Veni, vidi, vici.

C'était il y a presque 18 ans. Le temps d'une vie pour lui. Il a dû se dire: «Ah bon, je ne savais pas que Radiohead avait joué à Woodstock. Avec Hendrix?» Je me suis dit que je devais ressembler à Elvis Gratton, première mouture, embarquant une étudiante sur le pouce: «Vous autres, dans les cégeps...» Pathétique.

Il fallait me ressaisir. Pour ne pas paraître trop nostalgique, je lui ai parlé de mes découvertes de l'année. En commençant par Brothers des Black Keys (avec un son rétro injecté de soul, susceptible de plaire à un fan de musique des années 60 et 70). Aucune idée. Il ne connaissait pas davantage Contra de Vampire Weekend et ses chansons de circonstance, Cousins et Holiday. J'ai eu plus de chance avec le plus récent National, High Violet. Il avait même entendu Boxer et Alligator. Ragaillardi, j'ai osé This Is Happening de LCD Soundsystem. Non? T'es sûr?

M'est venu à l'idée que je ressemblais à un gars de 50 ans ayant écouté en boucle Van der Graaf Generator dans le sous-sol de ses parents à Limoilou, tentant d'en convaincre un autre, de ma génération, que King Crimson n'a rien à envier à Radiohead.

Dans une ultime tentative d'avoir l'air dans le coup, évitant de parler de la reprise par Crystal Castles de Not in Love de Platinum Blonde (mon plaisir coupable de l'année) ou de mes coups de coeur francophones (Belmundo Regal, Jimmy Hunt, Philippe Katerine), j'ai dit, avec le naturel d'un acteur de 26 ans campant un ado: «Ça torche, le nouveau Kanye...»

J'ai dû mal prononcer, parce que j'ai remarqué un sourire dans sa voix quand il a répondu: «Ouais, c'est pas mal.» C'est dur, vieillir.

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