L'effet Trump atteint des niveaux délirants. Tous les pays se cherchent un Trump ! Comme si la vague populiste, qui effectivement déferle sur l'Occident dans la foulée des médias sociaux, était partout de même nature ! Comme si l'on pouvait comparer Donald Trump, personnage typiquement américain, à Marine Le Pen, à l'Anglais Nigel Farage ou à l'Italien Beppe Grillo !

Le Québec n'est pas en reste et vient de se trouver une sorte de Trump en la personne de Rambo.

On a les Trump qu'on peut. On n'avait pas sous la main un magnat milliardaire de l'immobilier comme « Le Donald » ni un tribun capable d'exciter les foules dans un excellent français comme Marine Le Pen. On se contentera donc d'un « bum de chantier » (dixit Stéphane Laporte), un ancien gros bras de la FTQ-Construction incapable de dire deux mots sans sacrer.

Bernard Gauthier, dit « Rambo », est la vedette de l'heure. C'est, avec l'ancien fraudeur repenti Lino Zambito, une création de la commission Charbonneau - cette commission-spectacle qui a transformé en héros populaires des personnages accusés de corruption ou d'intimidation.

Loin de moi l'idée de reprocher à M. Gauthier son langage. Dans une société où l'on fait bon marché de la correction de la langue, où les seuls « artistes » qui font salle comble sont des humoristes, où les blagues scatologiques et la débilité des sentiments sont la route du succès et où l'on traite de « snobs » ceux qui s'efforcent de bien parler, qu'y a-t-il de surprenant à ce qu'un travailleur de la construction s'exprime à la télé comme sur un chantier ?

Bernard Gauthier a au moins une supériorité sur ces politiciens qui, tout en maîtrisant les principes fondamentaux de la langue de bois, sont incapables d'exprimer clairement leur pensée et d'énoncer une phrase complète.

Il a une langue imagée qui sort du coeur. Exemple : « La politique, ç'a deux vitesses : lent pis ben lent. Les politiciens dorment au gaz, et pendant ce temps-là, nous on travaille pas. » Ce n'est pas tout à fait à tort que les médias sérieux ont fait des florilèges de ses propos les plus savoureux.

Autre exemple : « J'ai pas de cravate, je fais des fautes d'orthographe, hostie, j'ai pas d'université, je suis pas avocat, je suis pas médecin. Mais je suis un contribuable et un père de famille et, hostie, je sais que je suis en train de me faire faire l'amour par en arrière sans autorisation. Et ça, faut que ça change. » Saluons au passage la délicatesse du monsieur, qui, tout en multipliant les « hosties » et les « câlisses », décrit l'enculage avec la préciosité d'une Madame de Sévigné.

Rambo pourrait faire un malheur sur la Côte-Nord et dans les régions excentriques ravagées par le chômage. Déjà, un sondage place M. Gauthier et ses « Citoyens au pouvoir » en deuxième place dans la circonscription de Duplessis, actuellement représentée par le PQ. À 27 % des intentions de vote, il dépasse de loin le PLQ (18 %), la CAQ et QS (7 % et 4 %).

Il y a quelque chose de sympathique chez ce bonhomme qui, avec sa grande gueule pour seule arme, se dresse contre les élites pour défendre sa région et ceux qui se sentent exclus du pouvoir.

Or, si l'on se fie au sondage CROP publié samedi dernier dans La Presse+, 19 % et 41 % des Québécois ressentiraient « un très fort » ou un « fort » sentiment d'exclusion. C'est beaucoup.

Ce climat de désabusement peut devenir le bouillon de culture des pires démagogies. Et malheureusement, comme l'indique ce sondage, ce sont les musulmans qui risquent d'en faire les frais. Près de la moitié, soit 47 % des Québécois, se disent « intolérants » à divers degrés face à la minorité musulmane.

Parmi ceux-là, on note des majorités astronomiques qui souhaitent interdire l'immigration musulmane, de même que le voile intégral dans l'espace public. Comme l'explique notre collègue Katia Gagnon, le Québécois intolérant typique est un francophone, souvent âgé de 55 ans et plus, et peu scolarisé. Il a 65 % de chances d'être péquiste, et 55 % de chances d'être caquiste.

Or, Rambo s'est déjà défini comme l'incarnation du mouvement anti-immigrant, avec des propos qui soulèvent le coeur.

« C'est épeurant pour les gens des régions, ce qui se passe en ville. Ça nous fait peur, c'est effrayant. On voit ça, les accommodements, pis les ci pis les ça. On sait pas trop si c'est bon ou pas bon, mais c'est effrayant pour nous autres. On n'en veut pas, nous autres. »

Ou encore : « Moé, sauver des étrangers au détriment des miens, ben y'en est crissement pas question. On est assez dans marde comme ça. »

Où l'on voit que le bouillant délégué syndical n'est pas que le champion coloré des exclus. C'est aussi un semeur de xénophobie, le pire étant que ce déferlement d'hystérie est totalement irrationnel. Que connaît-on des musulmans à Sept-Îles ?

Le « Québec des régions » va-t-il devenir un gros Hérouxville ?