Le téflon n'est pas encore égratigné et le sourire du prince triomphe encore des obstacles... Pourtant, l'agenda de Justin Trudeau est lourdement chargé, et ses premiers pas au gouvernement ont connu des ratés qui auraient fait bien des remous si le pays et les médias n'étaient pas encore en lune de miel avec le nouveau gouvernement.

Deux grosses pièces à l'ordre du jour : l'aide médicale à mourir et la légalisation du cannabis. Mais le gouvernement n'a pas le choix : s'il veut tenir ses promesses, il doit foncer, et vite. Justin Trudeau, qui a eu le privilège de « dîner tous les soirs avec un premier ministre », comme le disait récemment Jean Chrétien, sait parfaitement bien que c'est en début de mandat qu'il faut agir dans les dossiers controversés.

Troisième défi, que M. Trudeau aurait bien voulu retarder, mais qui surgit dans un climat d'urgence : les oléoducs. Il vient de recevoir une solide leçon de gouvernance de la part de l'ancien premier ministre Mulroney, qui lui a fait savoir, dans un récent discours, que le rôle d'un premier ministre n'est pas de jouer les médiateurs, mais de prendre le leadership. L'avertissement de M. Mulroney a d'autant plus de poids que ce dernier, qui n'avait aucun atome crochu avec le gouvernement Harper, est parmi les premiers qui ont salué l'arrivée de M. Trudeau à la tête du PLC.

Dimanche, M. Mulroney est revenu à la charge dans une entrevue à CTV, en disant que la responsabilité du premier ministre est d'assurer le développement économique du pays et que l'oléoduc de l'Est doit être la priorité. « On ne peut pas garder 174 milliards de barils de pétrole albertain dans le sol », a-t-il dit.

M. Trudeau, fidèle à son naturel conciliant, aurait préféré que tout le monde en vienne miraculeusement à une sorte de consensus, mais il est dépassé par la réalité. Son gouvernement participe aux tractations entre les hauts fonctionnaires de l'Alberta et de la Colombie-Britannique pour ouvrir la voie à l'oléoduc vers le Pacifique. Et Rachel Notley, première ministre de la province où M. Trudeau tient aujourd'hui une réunion de son Conseil des ministres, maintient la pression.

Quand les choses commenceront à bouger sur ce front, suscitant des levées de boucliers chez les environnementalistes et auprès de certains maires québécois (dont celui de Montréal), la lune de miel risque de passer par une fameuse éclipse.

Jusqu'à présent, les ratés du nouveau gouvernement ont fait peu de vagues.

Il y en a pourtant eu plusieurs : la confusion qui a longtemps entouré la participation militaire à la coalition contre le groupe État islamique, l'annonce d'un déficit de 30 milliards qui sera trois fois plus élevé que ce qu'avaient promis les libéraux, et la vente de blindés à l'Arabie saoudite. Le gouvernement avait tenté de rejeter la faute sur le gouvernement précédent, mais le Globe and Mail a révélé qu'en fait, c'est le ministre Dion qui avait mis en marche le processus en signant les autorisations nécessaires.

Dernier raté, mais non le moindre, car il signale un extraordinaire relâchement sur le plan de l'éthique, le cocktail-bénéfice à 500 $ le billet organisé par une grosse firme d'avocats de Toronto en l'honneur de nulle autre que la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould. Le genre de conflit d'intérêts que la commission Charbonneau aurait dénoncé haut et fort !

Pour toute défense, la ministre a déclaré qu'elle était là « en tant que députée », ce qui était bien l'excuse la plus risible. Quel intérêt auraient des avocats du centre-ville de Toronto à nouer des liens avec la députée de Vancouver Granville ?

Pour conclure l'épisode, sa collègue ministre des Institutions démocratiques Maryam Monsef a accusé les conservateurs qui avaient déposé une motion de blâme contre la ministre de monter « une attaque vicieuse et non fondée contre une leader autochtone, une femme accomplie ». Elle les accusait en somme de racisme et, en filigrane, de misogynie ! À quel niveau de sottise en est-on rendu ?