Jean Chrétien n'a pas mâché ses mots. Interrogé à brûle-pourpoint sur la misère d'Attawapiskat, une réserve amérindienne du nord de l'Ontario où il s'est produit une épidémie de tentatives de suicide, celui qui fut ministre des Affaires indiennes de 1968 à 1974 a affirmé que les autochtones devraient « déménager ».

C'est un vieux problème, dit-il. « Il n'y a pas de base économique pour créer des emplois. Il y a des fois où ils devraient déménager, comme n'importe qui d'autre.

« Prenez le nord du Manitoba, dit-il, c'est extrêmement difficile d'avoir une vie là-bas. Mais les autochtones sont traditionalistes. Ils veulent rester près de leur terre, ils ont la nostalgie du passé, quand ils vivaient de chasse et de pêche... ».

« C'est bien de rester s'ils le veulent, mais ce n'est pas toujours possible », de poursuivre l'ancien premier ministre, qui évidemment ne parlait pas de déportation forcée. Chose certaine, il a raison sur le fond.

Les 2000 Cris d'Attawapiskat, près de la baie James, forment une communauté isolée, à 500 km au nord de Timmins, accessible seulement par les airs.

Deux fois par mois, une centaine de membres de la réserve sont transportés par avion, au-dessus d'un territoire marécageux impraticable par voie terrestre jusqu'à la mine Victor Diamond de la société De Beers, à 90 km de là, puis ramenés chez eux après deux semaines de travail.

Comme la mine est située sur son territoire, De Beers verse à la nation Attawapiskat des royautés qui sont déposées dans un fonds de placement (aujourd'hui de l'ordre de 13 millions de dollars) contrôlé par le conseil de bande. En 2014, sur le million de dollars versé par la mine à la réserve, la moitié est allée au « développement communautaire », et le reste à ce qu'un porte-parole de la réserve appelle « des relations d'affaires ».

Cette mine à ciel ouvert doit cesser ses opérations en 2018. De Beers a un autre projet minier plus au nord, mais ce projet est compromis par l'opposition des Premières Nations qui y voient une atteinte à l'intégrité de leur territoire ancestral...

Le gouvernement a envoyé 18 spécialistes, dont un psychologue, à Attawapiskat, où 13 jeunes auraient récemment fomenté un pacte de suicide. Mais ce sera une goutte d'eau dans la mer, c'est évident.

Et encore, Attawapiskat est-elle une grosse réserve. Près des trois quarts des réserves (70 %) comptent moins de 500 habitants. Impossible de doter leurs écoles de la panoplie de services auxiliaires qui s'imposeraient dans des communautés où abondent les problèmes sociaux.

Le gouvernement Trudeau, dans son plus récent budget, a alloué 8,4 milliards aux Premières Nations, dont la moitié pour l'éducation et la formation. L'initiative est louable (38 % des autochtones de 18 à 24 ans n'ont pas terminé leur secondaire), mais hélas un peu illusoire. Car même si tous les jeunes des réserves isolées décrochaient un diplôme, où iraient-ils travailler ? Quelles sont leurs perspectives d'avenir ?

Autre sujet d'inquiétude, les transferts de fonds prévus au budget Morneau ne s'accompagneront d'aucun processus de contrôle véritable, le gouvernement Trudeau ayant éviscéré le système mis en place par le gouvernement Harper, lequel forçait les conseils de bande à rendre compte de l'utilisation de leurs ressources financières, notamment en dévoilant les salaires et les dépenses des chefs.

Le gouvernement a éliminé les sanctions prévues à la loi pour les chefs qui refuseraient de rendre des comptes à leurs commettants (et aux contribuables canadiens qui paient la note).

À l'époque où Jean Chrétien était aux Affaires indiennes, lui-même et le premier ministre Trudeau avaient tenté d'abolir le système des réserves - cet apartheid canadien - mais s'étaient heurtés à l'opposition des chefs des Premières Nations, qui tenaient à leur base de pouvoir et aux avantages fiscaux inhérents au système, tout en faisant valoir que les réserves constituaient le foyer de leur culture ancestrale.