Le vote par anticipation, naguère exceptionnel, est devenu une habitude. On n'exige même plus, comme auparavant, une justification (voyage, problème de santé, obligation professionnelle, etc.).

Cet élargissement, dû au désir du directeur général des élections de faciliter au maximum l'exercice du droit de vote et de hausser le taux de participation, entraîne des problèmes, dont le moindre n'est pas que, cette année en particulier, les bureaux de scrutin du vote par anticipation ont été dépassés par l'affluence. Beaucoup d'électeurs ont poireauté longtemps avant de passer à l'isoloir.

L'élargissement du vote par anticipation n'entraîne pas que des problèmes d'ordre logistique. On touche ici au sens même du vote. Cette année, 3,6 millions de Canadiens - 1,5 million de plus qu'en 2011 - ont voté sans avoir toute l'information dont ils auraient bénéficié s'ils avaient attendu au 19 octobre.

Durant les derniers jours de la campagne, il s'est pourtant produit plusieurs événements qui auraient pu amener certains électeurs à modifier leur vote.

Par exemple, on a appris que Daniel Gagnier, coprésident de la campagne libérale, avait fait du lobbying en faveur de l'industrie pétrolière. Dès que le PLC a commencé à monter dans les sondages, M. Gagnier a écrit à des dirigeants de TransCanada pour leur indiquer comment ils pourraient faire avancer le projet d'oléoduc Énergie Est au sein d'un futur gouvernement libéral.

C'était un conflit d'intérêts absolument scandaleux, d'autant plus qu'il concernait l'un des enjeux majeurs des élections.

Le pire, c'était que la direction du Parti libéral savait fort bien que son coprésident de campagne travaillait pour des organismes liés à l'industrie pétrolière (Epic et TransCanada). Comment les autorités du parti ont-elles pu accepter une pareille situation, sachant que M. Gagnier allait inévitablement mettre ses connaissances des rouages internes du parti au service de ses employeurs ?

Ce rebondissement avait de quoi dégoûter les électeurs qui accordent une importance primordiale à l'éthique publique et qui se souviennent amèrement des scandales liés aux anciens gouvernements libéraux. Mais ils avaient déjà voté...

Autre exemple : la fin de la campagne a été marquée par le débat autour du Partenariat transpacifique. Une question qui aurait pu pousser les partisans du libre-échange à favoriser le gouvernement conservateur ou, au contraire, pousser les adversaires de la libéralisation du marché à voter pour le parti qui s'y opposait avec le plus de véhémence (soit le NPD).

Sept jours, c'est très long en politique. Bien des choses peuvent se produire. Si un chef de parti avait un accident mortel ? Si l'on découvrait qu'un parti s'était rendu coupable d'une fraude grave ?

Cela tombe sous le sens, ce n'est qu'au jour officiel prévu pour le vote que l'électeur dispose de toute l'information requise pour faire un choix éclairé. Bien sûr, les partisans engagés voteront pour « leur » parti, quoi qu'il se produise. Mais nombre d'électeurs sont indécis, comme ce fut le cas cette année.

En élargissant le vote par anticipation, le directeur général des élections commet deux erreurs : il encourage les électeurs à voter avant d'être pleinement informés et il sape le caractère sacré du vote en le banalisant.

Il y aurait une autre façon de procéder, qui offrirait à la fois des horaires souples et l'information maximale. On pourrait rétrécir l'accès au vote par anticipation comme par le passé, en exigeant de l'électeur pressé une justification sérieuse, mais en échange, allonger la période de votation officielle sur deux ou trois jours.

Les élections ont toujours lieu un lundi. Pourquoi ne pas étaler la votation sur le week-end précédent ? Les bureaux seraient complètement équipés dès le samedi, prêts à recevoir l'afflux d'électeurs sans leur imposer de longues attentes, et l'on n'aurait pas à les démanteler avant le lundi soir.