« Si seulement elle était française ! », s'exclame à la une le magazine Le Point, en contrepoint à la photo d'Angela Merkel - une belle photo qui la montre souriante, les yeux pétillant de malice.

La grande dame de Berlin, après s'être gagné l'admiration de la droite et des pragmatiques pour la façon dont elle a piloté le dossier toxique de la Grèce (un rare mélange de fermeté et de finesse diplomatique), est devenue l'héroïne de la gauche et des humanitaires, cette fois pour sa générosité envers les migrants qui déferlent aux portes de l'Europe.

L'Allemagne accueillera d'ici la fin de l'année 800 000 migrants - un nombre stupéfiant -, après s'être prévalu de son statut de première puissance européenne pour forcer les autres pays membres à accepter des quotas d'accueil. Tant sur la Grèce que sur la question des migrants, Mme Merkel a su se gagner la complicité de la France, l'autre moitié du socle sur lequel repose l'Union européenne.

Politicienne habile, elle est aussi une femme de convictions. Son inflexibilité devant la Grèce irresponsable venait de sa morale protestante : il faut payer ses dettes, et gouverner de manière éthique. Sa sensibilité quant aux réfugiés vient du fait qu'en native de l'Allemagne de l'Est, elle a vécu le totalitarisme soviétique et vu de près les souffrances des millions de personnes déplacées par la Seconde Guerre mondiale.

Ah ! Si elle était française ! Les Français sont envieux, et pour cause. Il n'y a plus de héros politiques en France... sauf - hélas ! - du côté de l'extrême droite, où Marine Le Pen fourbit ses armes pour l'élection présidentielle de 2017. Selon les récents sondages, M. Hollande serait éliminé au premier tour et Mme Le Pen arriverait au second tour devant le représentant des Républicains (anciennement UMP), qu'il soit Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé.

Le spectre du triomphe du Front national, de même que la perspective de revoir une deuxième fois le film exaspérant du duel Sarko-Hollande, désespèrent les Français. Même le premier ministre Manuel Valls, qui planait dans les sondages il y a un an, a perdu son charisme catalan. Il court d'une crise à l'autre, pompier impuissant, nerveux et maussade, plombé par la situation économique : croissance nulle, chômage élevé, relance industrielle absente, immobilisme endémique...

Dans ce contexte, les Français voient d'un mauvais oeil l'arrivée d'une autre vague d'immigration musulmane, d'autant plus que la France a été la première cible européenne du terrorisme islamiste.

Par contre, les Allemands, avec leur économie florissante, leurs besoins urgents de main-d'oeuvre et leur natalité déclinante, peuvent s'offrir le luxe de la générosité. Ils ont aussi, peut-être, quelque chose à se faire pardonner : ce régime nazi issu de leur propre peuple, qui fut le cataclysme le plus atroce de l'ère contemporaine.

Il y a toutefois un revers à la médaille. Aucun pays d'Europe, même pas l'Allemagne malgré son efficacité légendaire, n'est équipé pour identifier rapidement les vrais réfugiés dans le flot humain continu, pour reconduire humainement les migrants économiques dans leurs pays d'origine, et pour absorber de forts afflux de réfugiés.

Si des tensions se produisent - c'est presque inévitable -, cela amplifiera la montée des partis xénophobes d'extrême droite. Cela donnera du grain à moudre aux europhobes de Grande-Bretagne qui veulent sortir de l'Union. Et cela risque de compromettre la plus grande réalisation de l'Union européenne, soit la liberté de circulation à l'intérieur de l'espace Schengen. Plusieurs pays réclameront le contrôle de leurs politiques d'immigration, donc le retour des frontières.

Cela serait une perte incommensurable pour l'idée magnifique qu'était cette Europe reconstruite et unifiée sur un continent si longtemps ravagé. Mais le pire n'est pas toujours sûr. Il faut donc espérer...