J'ai longtemps été parmi les commentateurs qui plaidaient, à intervalles réguliers, en faveur de la hausse de la rémunération de nos médecins, histoire de les retenir au Québec - et surtout parce que dix ans et plus d'études universitaires, cela se paie.

Finalement, nos médecins ont été reconnus à leur mérite, ce qui n'était que justice. Mais jamais je n'aurais pu deviner que ces hausses successives allaient se retourner contre la population, et qu'un nombre substantiel de médecins en profiteraient pour s'accorder plus de temps libre.

C'est l'effet pervers des hausses : des médecins mieux rémunérés peuvent décider de moins travailler, tout en étant assurés d'un très bon revenu. Et cela, alors que deux millions de Québécois n'ont pas de médecin de famille !

Selon la RAMQ, la rémunération à l'acte des omnipraticiens a augmenté de 51 % de 2007 à 2012, mais leurs services ont diminué de 8 %... et cela, malgré l'arrivée sur le marché de 500 nouveaux médecins de famille.

Rien d'étonnant, donc, à ce que le ministre Barrette passe à l'action. Dans tous les milieux de travail, et dans toutes les professions, les salariés qui décident de travailler à temps partiel voient leur rémunération réduite en conséquence.

On comprend l'irritation des omnipraticiens devant le ton batailleur du ministre Barrette. Ils devraient pourtant être les premiers à savoir que le médecin de famille est la pierre angulaire d'un système de santé performant. D'ailleurs, contrairement à ce que prétend leur fédération, ils ne sont pas les seules cibles du ministre. Le projet de loi 20 comprend quatre obligations pour les spécialistes, dont celle de voir un nombre minimal de patients à leur bureau.

Bien sûr, le phénomène du temps partiel n'est qu'un aspect d'un vaste problème : le Québec a plus de médecins par habitant que l'Ontario, mais moins de Québécois ont un médecin de famille. En effet, trop de médecins ne voient jamais de patients parce qu'ils travaillent dans des départements de santé publique ou occupent des postes administratifs (autre symptôme de la bureaucratisation du système québécois). Et trop de médecins ne suivent aucun patient parce qu'ils pratiquent à temps plein à l'hôpital.

En outre, en raison justement de la résistance historique des médecins à déléguer leurs pouvoirs, trop de médecins perdent leur temps à des tâches qui devraient être effectuées par des infirmières ou des pharmaciens.

Le Québec compte plus de femmes médecins qu'en Ontario, mais les congés de maternité n'expliquent pas l'ampleur de l'absentéisme chez les jeunes médecins. On ne leur demande pas de travailler 70 heures par semaine comme les médecins d'antan, mais comment se fait-il que nos jeunes médecins travaillent moins que les jeunes médecins ontariens ? La conciliation travail-famille existe aussi ailleurs !

Les Québécois de culture catholique seraient-ils plus hédonistes que les Canadiens de culture protestante, qui ont traditionnellement une éthique du travail plus exigeante ? Les médecins issus de l'immigration, plus nombreux au Canada anglais qu'au Québec, travailleraient-ils plus fort que la moyenne ? C'est en tout cas un réflexe commun aux enfants d'immigrants.

Les fédérations de médecins ne feront pleurer personne, surtout pas les centaines de milliers de caissières, d'avocates, de vendeuses, de journalistes et d'ouvrières qui aimeraient jouir d'un revenu au-dessus de la moyenne en ne travaillant que trois jours pour passer le reste de la semaine avec leurs enfants.

Mais qui peut accepter que des médecins formés à grands frais grâce aux fonds publics, et qui ont eux-mêmes bénéficié de droits de scolarité dérisoires par rapport à la norme nord-américaine, décident de réduire leur temps de travail au détriment du service public ? Désormais, ceux qui le feront seront pénalisés et ce ne sera que justice.