La dernière chose dont le Québec avait besoin dans le domaine de la santé, c'est d'une autre réforme de structure - encore moins le genre de réforme que le ministre Barrette est en train de faire passer à toute vapeur.

Les intervenants avaient à peine eu le temps d'étudier le projet de loi que la commission parlementaire débutait déjà, et le ministre compte en outre se dérober à l'obligation de publier ses règlements dans la Gazette officielle !

Pareille précipitation, de même que la centralisation qu'annonce ce projet, représentent un abus de pouvoir pur et simple. S'il est vrai que dans notre système déjà trop centralisé, tous les problèmes qui surviennent sur le terrain - urgences encombrées, décès suspects, mauvais gestionnaires locaux, etc. - finissent par atterrir sur le bureau du ministre de la Santé, cela n'est pas une raison pour en faire un autocrate.

Qu'on en juge : tous les administrateurs des 28 nouveaux Centres intégrés de santé et de services sociaux seront nommés par le ministre ! Le réseau tout entier sera aux mains de gens favorables aux orientations du ministère. À l'exception des deux hôpitaux universitaires de Montréal, tous les hôpitaux perdront leur personnalité juridique en même temps que leurs conseils d'administration, pour relever des CISSS dirigés à partir de Québec.

Les fusions d'organismes disparates produiront au final un mammouth bureaucratique dont seul le ministre détiendra les manettes, sans qu'aucun contre-pouvoir ne puisse modérer ou infléchir, en fonction des besoins locaux, les décisions décrétées à Québec.

La minorité anglophone, qui risque de perdre le peu de contrôle qui lui reste sur ses institutions, est sur un pied d'alerte, et avec raison. Mais l'hypercentralisation menace de la même façon tous les citoyens.

Comme le signale Me Jean-Pierre Ménard, spécialiste renommé du droit de la santé, le modèle de régionalisation conçu par le ministre risque de priver les Québécois d'un droit fondamental, celui de choisir son médecin, son chirurgien, et en même temps l'hôpital où il sera traité.

On pourrait de la même façon empêcher les familles de choisir le centre d'hébergement qui convient le mieux pour leur vieux parent.

Le critère principal sera celui de la proximité, comme dans l'ancienne Union soviétique, où les hôpitaux étaient numérotés plutôt que nommés, pour bien signifier qu'ils étaient interchangeables.

Cette tendance selon laquelle les usagers sont dirigés impérativement vers les institutions de leur propre région, interdisant par exemple la fréquentation d'hôpitaux montréalais aux habitants du 450, était déjà amorcée sous le gouvernement Marois... preuve, s'il en fallait une, que les politiciens passent, mais que les fonctionnaires demeurent, et sont les vrais maîtres du système.

Ce n'est pas un hasard si cette réforme, officiellement destinée à réduire la bureaucratie, épargne ce ministère obèse qui compte 74 sous-ministres adjoints, sans compter les directeurs, les cadres de premier niveau et des milliers de fonctionnaires gratte-papier.

Comment croire que ces fusions seront source d'économies, après l'expérience des fusions municipales qui ont accru la facture des contribuables ? Qui nous dit que les économies générées par l'abolition de 1300 postes locaux ne seront pas annulées par les coûts de transition de la réforme - un projet compliqué qui mobilisera toute l'attention des gestionnaires et, au bout du compte, n'apportera aux patients que des misères supplémentaires ?

La commission parlementaire se poursuit, et tous les intervenants du milieu de la santé sont contre ! À moins qu'on ne conclue à un immense complot du peuple contre le ministre, ce n'est pas normal. Toutes les réformes qui se sont produites dans le domaine de la santé (réforme Côté, réforme Couillard, etc.) ont eu leurs détracteurs, mais aussi des soutiens. Ce projet de loi qui fait l'unanimité contre lui doit être révisé en profondeur.