C'est en avril dernier, lors du cocktail de lancement de La Presse+, que j'ai entendu parler des ambitions politiques de Pierre Karl Péladeau.

Lucien Bouchard était l'un des nombreux invités à cette réception. Nous parlions de politique, évidemment. À un moment donné, M. Bouchard mentionne, comme si c'était quelque chose de connu, que PKP a l'oeil sur le leadership du PQ, et rêve de devenir le premier président de la République du Québec. (M. Bouchard ne m'a pas révélé ce qu'il pensait de ce plan-là.)

Même si M. Bouchard est un informateur fiable - il connaît tout le monde dans le milieu des affaires et n'a pas la réputation d'être un farceur! - , j'étais incapable de le croire. Jamais je n'aurais osé faire mention dans ma chronique d'une hypothèse aussi farfelue.

Quoi? Cet homme qui trône sur un empire où il n'en fait qu'à sa tête irait se plier aux innombrables contraintes de la vie politique? Lui, si vindicatif, irait prêter flanc aux critiques de tout un chacun sans qu'il puisse répliquer par une poursuite, un congédiement ou un lock-out? Ce patron d'extrême droite, renommé pour sa brutalité envers les syndicats, pourrait se faire élire à la tête du PQ? Et que deviendrait Mme Marois dans ce scénario?

Lorsque finalement la rumeur s'est avérée, j'ai été tentée de croire qu'un accord secret avait été conclu entre Mme Marois et M. Péladeau.

Mon scénario (inventé, mais rationnel): la première ministre mènerait le parti à la victoire. Une fois un gouvernement majoritaire installé, elle démissionnerait de son poste pour passer le flambeau à son nouveau ministre-vedette - un homme dans la force de l'âge, volontariste et impulsif, le genre d'homme à oser tenir un troisième référendum sans être sûr de l'emporter, les «conditions gagnantes» n'étant pas réunies.

Mme Marois, comme les Bouchard et les Landry avant elle, serait trop prudente pour prendre un pareil risque, mais les entrepreneurs comme PKP ont tous un côté «gambler». Ils écoutent leur instinct davantage que les sondages. Ils flirtent avec le risque, et leur assurance à toute épreuve, nourrie par l'orgueil, la vanité et leurs succès passés, leur fait croire qu'ils gagneront coûte que coûte.

Les péquistes, terrifiés par le fait que la démographie joue contre leur option, accepteraient de jouer le tout pour le tout...

En prenant la succession d'une première ministre démissionnaire, comme Bernard Landry avait succédé à Lucien Bouchard, M. Péladeau éviterait la tenue d'une course au leadership en bonne et due forme, une opération qui pourrait être longue et fort houleuse, dans un parti où nombre de militants sont syndiqués et plutôt à gauche.

J'ai toutefois des doutes sur mon scénario, depuis que j'ai vu à quel point l'irruption de PKP dans la campagne péquiste a été chaotique, comme si rien n'avait été planifié.

La profession de foi enflammée, le poing levé, l'enthousiasme des péquistes qui accueillaient PKP comme un sauveur, les divagations de Mme Marois elle-même sur les contours d'un Québec souverain, tout cela allait ramener la souveraineté au centre d'une campagne où il ne devait être question que d'élire «un bon gouvernement», et faire de PKP, du moins momentanément, un boulet plutôt qu'un sauveur.

De ce magma explosif, il reste tout de même une certitude. M. Péladeau n'est pas allé en politique pour diriger un super-ministère économique où il aurait beaucoup moins de pouvoir qu'à la tête de son empire de presse.

Encore moins pour poireauter pendant quatre ans sur les banquettes de l'opposition... une possibilité qu'a fait surgir le dernier sondage CROP, et qui n'avait sans doute jamais effleuré l'esprit de cet homme qui, au moment du grand plongeon, ne doutait de rien et surtout pas de lui-même.