On se demande pourquoi Pauline Marois s'est tant démenée pour devenir première ministre, elle qui qualifie maintenant ses trois prédécesseurs de «citoyens comme les autres». Est-ce ainsi qu'elle se considère? C'est en tout cas faire bon marché de l'expérience et de la notoriété de ces anciens premiers ministres que de ravaler leur avis au même rang que celui du twitter lambda.

On peut toutefois reprocher à ces messieurs d'avoir attendu bien longtemps avant d'intervenir et d'essayer de ramener à la raison ce gouvernement à la dérive. Il est en effet minuit moins cinq: la société est «en feu», comme le constate fort justement M. Parizeau, et le gouvernement Marois s'est enfoncé dans la gadoue les quatre fers en l'air. A supposer qu'il le veuille, il ne pourra pas facilement réajuster le tir.

Les Jean-François Lisée et les Louise Beaudoin auront beau banaliser la sortie de M. Parizeau et la réduire à un désaccord sur un seul point de la Charte, ce n'est qu'une tentative dérisoire de masquer la réalité. (Passons sur le persiflage de Lisée, qui lance insolemment que sur la question du crucifix, son ancien patron est «plutôt Femen» - une blague de talk-show qui n'a pas sa place à l'Assemblée nationale).

Les péquistes auront beau, donc, faire semblant de sous-estimer cette sortie, la réalité c'est que le chef spirituel du PQ (suivi de près par ses deux successeurs) a enfoncé un pieu mortel dans le coeur même de ce projet de charte. En s'attaquant à l'interdiction des signes religieux, il a visé l'élément central, le nerf central - la seule disposition autour de laquelle se déchaînent les passions des «pour» et des «contre».

J'ai écrit sur ce sujet onze chroniques depuis septembre. Or, je me suis exclusivement concentrée sur l'interdiction des signes. Pourquoi? Tout simplement parce que les autres points de la charte ne prêtent guère à controverse.

Enchâsser dans la Charte des droits le principe de la neutralité de l'État (qui existe de facto, comme le rappelait M. Parizeau)? Bien d'accord, à condition évidemment que l'on soit logique et qu'on enlève le fameux crucifix de l'enceinte où se font les lois.

Établir des balises pour les demandes d'accommodement? Toutes les études sérieuses montrent que le besoin ne s'en fait guère sentir, mais bon, pourquoi pas? Encore faudra-t-il s'assurer que les critères ne soient pas trop contraignants et qu'on laisse une marge de manoeuvre aux décideurs locaux de même qu'aux entreprises privées.

Exiger que les services publics soient donnés à visage découvert? Parfaitement d'accord... avec un bémol: la clientèle ne doit pas être soumise à la même exigence. Il serait inhumain, par exemple, de refuser l'entrée d'un hôpital à une femme portant un niqab (qui ne laisse voir que les yeux).

Réduire l'interdiction des signes religieux aux catégories investies du pouvoir coercitif de l'État (juges, policiers, procureurs de la Couronne et personnel carcéral)? Ce serait parfaitement acceptable même si le problème ne se pose pas. Au moins, cela permettrait au gouvernement de reculer sans trop perdre la face.

C'est en faisant le tour de la charte qu'on voit où le bât blesse. Hélas, l'interdiction des signes religieux au personnel du secteur public est l'outil choisi par ce gouvernement pour orchestrer sa stratégie identitaire...

SPGQ ET SFPQ

Erreur de taille, dans ma chronique de jeudi. J'ai attribué au SPGQ (Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec) la position sur la charte du SFPQ (Syndicat de la fonction publique du Québec). En fait, le SPGQ ne s'est pas prononcé sur la question. Toutes mes excuses à ses membres.