Les révélations d'Angelina Jolie seraient, selon plusieurs, un «message d'espoir». Il s'agit au contraire d'un message de désespoir, dans la mesure où il laisse croire qu'un verdict de cancer du sein est un verdict de mort.

Je connais beaucoup de femmes qui ont souffert d'un cancer du sein. La plupart ont survécu et mènent des vies plus actives que jamais. Il y a 30 ou 40 ans, on ne se relevait pas de ce cancer-là, mais les progrès de la médecine ont tout changé. Les statistiques montrent d'ailleurs que c'est dans le tiers-monde, là où les soins de santé sont sommaires ou inexistants, que le cancer du sein fait les pires ravages.

Oui, il y a des cas tragiques où le cancer est féroce, et le décès inéluctable. Mais cela est relativement rare, et rien n'indique que les femmes porteuses de la mutation génétique BRCA courent plus de risques que la moyenne d'être affectées par un cancer intraitable.

Plutôt que l'automutilation, l'actrice aurait pu se contenter du suivi médical rigoureux dont bénéficient les cas «à risque» (les femmes dont la mère ou la soeur a été affectée par le cancer du sein).

En fait, c'est plutôt du côté des ovaires que l'actrice aurait dû s'inquiéter. Si, en termes statistiques, les porteuses du BRCA sont moins menacées par le cancer ovarien que par celui du sein, le premier est beaucoup plus dangereux. Il est difficile à détecter, difficile à traiter et souvent fatal.

Le texte que Mme Jolie a publié dans le New York Times se lit comme ces pubs que les cliniques de chirurgie esthétique affichent sur l'internet. La double mastectomie est décrite comme une intervention relativement facile et peu douloureuse (la patiente a continué à travailler durant tout le processus!), et dont les résultats sont parfaitement satisfaisants, à part «quelques minuscules cicatrices».

Ce conte de fées a peut-être été réel dans le cas d'Angelina Jolie, qui a certainement eu accès à des soins de qualité exceptionnelle. La clinique Pink Lotus Breast Center de Hollywood (ce nom ne s'invente pas) savait fort bien ce que lui rapporterait ce témoignage spectaculaire. L'icône est aussi belle et désirable qu'avant, et plus heureuse qu'avant! Le bonheur est dans le bistouri!

Les risques potentiels sont complètement gommés de ce tableau idyllique: les complications imprévues, les infections, le rejet, les prothèses déficientes, les dommages physiques et psychologiques...

Certes, il s'agit, dans ce cas comme dans tout autre, d'un choix personnel, et qu'il faut respecter. Mais ce n'est pas en ne donnant qu'un seul côté de la médaille qu'on aide les femmes à définir la stratégie qui leur convient.

Cette histoire s'inscrit dans un contexte social où l'on ne supporte plus le moindre risque, ni dans l'environnement ni dans son propre corps.

La même mutation génétique peut aussi affecter la prostate ou le pancréas. Verra-t-on des gens jeunes et sains réclamer l'ablation de ces organes? Voudra-t-on se prévaloir des nouvelles techniques d'imagerie médicale pour explorer l'intérieur de son corps? On y découvrirait bien des anomalies potentiellement nocives... ou totalement inoffensives.

Le déterminisme absolu n'existe pas. On peut être porteur d'un gène qui ne se développera jamais, de la même façon que la maladie d'Alzheimer n'est pas automatiquement héréditaire.

Peut-on éliminer tout risque de nos vies? N'est-il pas illusoire de vouloir contrôler tous les hasards susceptibles de déterminer notre avenir? On se fait charcuter pour échapper au cancer... et puis le lendemain, on se fait faucher par une auto en traversant la rue. Telle est la vie: imprévisible et absurde.