Les semaines précédant l'élection du pape ont dressé du Québec un portrait consternant. Je parle ici non pas du Québec profond, mais du Québec qui placote, tweete, blogue, chronique et discutaille, bref, de la petite classe qui monopolise la parole publique.

Sauf quelques exceptions, c'était à qui s'acharnerait le plus contre le cardinal Ouellet... un homme de culture, polyglotte et cosmopolite, qui a fait briller le Québec jusqu'au coeur de la chapelle Sixtine! Même ceux qui ne peuvent blairer Céline Dion s'inclinent pourtant devant ses succès!

Loin d'en être fier, on le percevait comme un boulet qui aurait embarrassé le Québec s'il avait été élu! Imaginez, il est contre l'avortement, il est contre l'euthanasie! Non, mais à quoi s'attendait-on? Mgr Ouellet n'a fait que prêcher la doctrine officielle de l'Église!

Les autres prélats canadiens sont plus prudents, ils essaient de composer avec une société déchristianisée en rasant les murs, mais ils n'en pensent pas moins. De fait, Mgr Ouellet serait plutôt modéré, à comparer au pape François, l'ami des pauvres qui non seulement s'est opposé à l'avortement et même à la contraception, mais a fait activement campagne contre la reconnaissance de l'homosexualité.

Plus encore que la hargne envers l'Église, une hargne trop virulente pour ne pas être suspecte, ce qui m'a frappée, c'est l'insoutenable grossièreté de cette déferlante.

On peut condamner les positions du Vatican - je ne m'en suis jamais privée -, mais pourquoi ces sourires narquois, ces moues méprisantes, ces petites phrases assassines? Pourquoi tant d'hostilité envers la personne même du cardinal qu'on appelait insolemment «Ouellet» en déterrant méchamment les anciens méfaits de son frère? Et à grand renfort de sacres par-dessus le marché?

La courtoisie est mal vue, dans ce Québec de tous les excès. Céline Galipeau a été vertement critiquée pour avoir interviewé Mgr Ouellet avec tact et déférence!

Il faut dire que l'exemple de la vulgarité vient de haut. Raymond Bachand, l'aspirant au leadership du PLQ, ponctue ses interventions de «Christ» pour avoir l'air à la mode. Ce sacre s'est même déjà retrouvé dans la bouche de Pauline Marois... René Lévesque sacrait quand il jouait au poker avec ses vieux copains. Jamais en public!

Plus récemment, interviewée par l'Express, la première ministre n'a pas trouvé d'autres mots, pour qualifier le premier papabile de l'histoire du Québec, que de dire que c'était «un grand bonhomme». Quelle expression! François Gendron a manifesté plus de savoir-vivre en parlant d'une «personnalité d'envergure».

On ne verrait jamais en France - dans cette France qui est la patrie de l'anticléricalisme et de la laïcité - un prélat se faire traiter de la sorte. Mais ici, c'est comme si la notion de respect n'existait plus, comme si le catholicisme était une tare.

Je ne suis pas croyante. Ma famille était non religieuse, et mon père, farouchement anticlérical. Je trouve aberrantes la plupart des positions de l'Église. Cela dit, je reconnais volontiers que je suis de culture catholique, et qu'une partie de mes réflexes viennent de la morale chrétienne.

Je ne comprends pas cette agressivité déchaînée envers Mgr Ouellet, bouc émissaire d'une Église aussi méprisée aujourd'hui qu'elle fut vénérée naguère... ou plutôt si, je crois la comprendre: c'est le fait d'un rapport à l'Église complexe et malsain, le fait d'un peuple malheureux qui n'en finit plus de régler ses comptes avec ses origines, comme un homme déboussolé encore hanté, à l'âge adulte, par le besoin de haïr sa mère.

Ce Québec qui se prétend laïc est encore bien loin d'être détaché de l'Église. S'il l'était, il serait plus serein et plus tolérant.