Faut-il abolir les réserves? À tout le moins, fermer celles qui, trop reculées, n'offrent ni emploi ni perspective d'avenir, et maintiennent les Indiens dans l'état malsain d'assistés sociaux perpétuels?

Ne pourrait-on pas affecter les milliards de dollars consacrés en vain à ces ghettos misérables au transfert des communautés à proximité de centres urbains, dans des habitations décentes, et à de vastes programmes d'éducation et de formation professionnelle pour les jeunes autochtones?

C'est ce que dicterait la logique, tout autant que le simple respect dû à ces populations qui forment l'équivalent d'un tiers-monde dans l'un des pays les plus prospères de la planète.

Pierre Elliott Trudeau y avait déjà songé. Il trouvait, non sans raison, que le système des réserves était une invention raciste, analogue à l'apartheid sud-africain. En 1969, Jean Chrétien, alors ministre des Affaires indiennes, publiait un livre blanc visant l'abolition de la Loi sur les Indiens et leur assimilation dans la population en tant que minorité ethnique.

Ce fut le tollé chez les chefs autochtones, qui ne voulaient pas entendre parler de la dissolution des réserves, sous prétexte que cela marquerait la mort des cultures autochtones... et aussi, bien évidemment, parce qu'en perdant leur base territoriale de pouvoir, ils auraient perdu leur statut et leurs privilèges.

Il y a des réserves qui s'en tirent. Or, elles ont toutes une caractéristique en commun, celle d'être à proximité d'un centre où il y a des possibilités d'emploi et des ressources éducatives.

Grâce à leur emplacement au coeur de la région montréalaise, les Mohawks de Kahnawake jouissent des revenus d'un club de golf et de casinos (sans parler du marché de la cigarette), en même temps que de la possibilité, pour les membres de la réserve, d'avoir un emploi libre d'impôt dans la métropole.

Les Hurons-Wendat se tirent également fort bien d'affaire... mais la réserve Wendake est en banlieue de Québec.

À West Vancouver, les Indiens Squamish se sont enrichis en louant une partie de leurs terres à un énorme centre commercial. À Vancouver, le magnifique terrain de golf de l'Université de la Colombie-Britannique, situé en territoire indien, rapporte beaucoup à ses propriétaires.

À Ossoyous, dans la vallée de l'Okanagan, les Indiens Nk'mip ont loué une partie de leurs terres à une société viticole, en échange d'emplois et d'une formation à la viticulture pour les membres de la réserve... qui gèrent maintenant un hôtel de tourisme situé près du vignoble.

Ce sont ces exemples instructifs qui ont mené le gouvernement Harper à introduire dans le projet de loi C-45 un amendement à l'antique Indian Act pour faciliter aux bandes indiennes la location d'une partie de leurs terres, en leur épargnant les procédures fastidieuses dont se plaignent depuis longtemps les chefs de bandes les plus entreprenants.

Cette initiative est vilipendée par la chef Spencer et d'autres radicaux, sous prétexte que tous les chefs des 600 bandes n'ont pas été consultés et que certains s'opposent par principe à la location de terres ancestrales. Faudrait-il attendre l'unanimité chez les chefs (qui ne s'entendent pas sur bien des sujets) avant de permettre aux bandes les plus dynamiques d'accéder à l'autonomie financière - et à la dignité qui va avec?

Tout n'est pas qu'une question d'argent. L'isolement géographique est un facteur crucial. Ainsi, les Cris du Québec sont devenus collectivement milliardaires avec la Paix des Braves, mais leurs réserves souffrent d'insondables problèmes sociaux, et 92% des jeunes Cris, sans diplôme ni qualifications, sont voués au chômage.

L'élimination des réserves sans avenir et sans espoir signerait-elle l'arrêt de mort des cultures autochtones? Réponse: non, au contraire. La suite jeudi.