Le gouvernement Marois a choisi ses couleurs: il sera le gouvernement le plus «rouge» et le plus «vert» de toute l'Amérique du Nord. Même les gouvernements provinciaux du NPD, en Colombie-Britannique, en Saskatchewan ou ailleurs, étaient plus modérés.

Comment expliquer ce retournement stupéfiant, venant d'un parti qui s'est toujours tenu au centre gauche, à plus forte raison lorsqu'il était au pouvoir?

Jamais René Lévesque, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry n'auraient aussi brutalement rompu les ponts avec les milieux d'affaires et la classe des professionnels aisés que le gouvernement s'apprête à matraquer fiscalement, et de manière rétroactive par-dessus le marché. Quant à Pauline Marois, lorsqu'elle était ministre, elle a toujours projeté l'image d'une social-démocrate BCBG...

Tout indique que les stratèges du parti ont calculé que la seule façon d'aller chercher une majorité parlementaire, aux prochaines élections, est de jouer dans la cour de Québec solidaire.

Déjà, au printemps dernier, Jean-François Lisée, le conseiller le plus influent de Mme Marois, avait engagé des pourparlers avec QS en vue d'une alliance électorale. La tentative a fait long feu. Changement de tactique, le gouvernement Marois espère rallier, par ses politiques, une partie des électeurs de QS.

À première vue, les chiffres lui donnent tort. Malgré tout le battage médiatique autour de QS, ce parti n'a obtenu que 6% du vote - une augmentation de 2% par rapport aux élections de 2007. Option nationale n'a grappillé que 1,8% des voix, et le Parti vert, 0,9%. Total de la gauche non péquiste: 8,7%.

Comparons maintenant ce chiffre avec le vote qui est allé à la CAQ: 27%... dont une bonne partie était constituée d'anciens électeurs péquistes - soit des souverainistes désenchantés, soit des gens ulcérés par l'alliance du PQ et des carrés rouges ou par la radicalisation du programme.

Au départ, François Legault comptait d'ailleurs sur le vote péquiste davantage que sur celui des libéraux, la preuve en étant qu'il avait choisi de se présenter dans L'Assomption, un château fort péquiste, plutôt que dans Argenteuil, à l'époque bastion libéral. En outre, un sondage CROP de mi-campagne a indiqué que tant le PQ que le PLQ perdaient leurs «modérés» au profit de la CAQ.

La pure mathématique électorale ne devrait-elle donc pas pousser le gouvernement Marois à tenter de rapatrier ces électeurs en se rapprochant du centre?

Mais il lui faudrait alors déchirer de grands pans de son programme, affronter la grogne de ses militants et contredire ses engagements électoraux. À partir de 2007, le PQ a fait son lit très à gauche, il ne peut pas décider inopinément de rouler de l'autre côté du matelas.

Les stratèges péquistes estiment qu'aussi petit soit-il, le vote QS aurait fait passer la CAQ ou le PLQ dans une vingtaine de circonscriptions où le PQ avait des chances de l'emporter. On estime aussi qu'en grugeant ne serait-ce qu'une partie du vote «solidaire», le PQ pourrait gagner six circonscriptions de plus, ce qui n'est pas loin des neuf sièges manquants pour la majorité. Chose certaine, le PQ aurait remporté Nicolet-Bécancour haut la main si M. Aussant ne s'y était pas présenté pour ON.

Mais les élections ne sont pas qu'affaire d'arithmétique. Bien des «solidaires» pourraient préférer l'original à la copie... Rien ne dit que QS perdra des appuis d'ici aux prochaines élections. Ses deux députés sont les chouchous des médias et feront probablement bonne figure à l'Assemblée nationale, pendant que le gouvernement péquiste se heurtera aux aléas du pouvoir.

Le PQ joue un petit jeu très dangereux, car à trop se rapprocher de QS, il risque de perdre encore plus d'électeurs modérés.