Le naufrage du Costa Concordia - et la honteuse fuite de son commandant, qui a quitté le bateau avant que l'évacuation ne soit terminée - remet au goût du jour une savoureuse boutade de Churchill.

«Il y a trois choses que j'aime à propos des navires de croisière italiens», disait-il. «La cuisine est insurpassable. Le service est superbe. Et advenant une urgence, ils n'ont pas cette règle idiote des "femmes et des enfants d'abord"!»

Cela dit, on s'en doute, avec l'humour caustique du grand Winston, qui, dans le contexte de l'époque, n'avait guère d'estime pour les capacités militaires des Italiens.

Ce naufrage nous interpelle nous aussi, simples citoyens, de quelque pays que nous soyons. Qu'auriez-vous fait, qu'aurais-je fait, si l'on s'était trouvé parmi les malheureux passagers du Costa Concordia? Dans la panique et la frayeur, combien, parmi nous, auraient fait la haie pour permettre aux enfants et aux handicapés d'emprunter l'échelle qui menait aux canots de sauvetage, quitte à se mettre soi-même en danger? Qui n'aurait pas d'abord voulu sauver sa peau?

C'est le genre de question que je me suis souvent posée à propos de grands événements historiques. Par exemple, qu'aurais-je fait si j'avais vécu dans la France occupée par les nazis?

Dans toute société, estiment les sociologues, il y a 10% de salauds, 10% de héros, et 80% de gens qui vont avec le vent et rament dans le sens du courant.

Je n'aurais pas été parmi les 10% de salauds, ça j'en suis sûre. Mais aurais-je fait partie des héros ou de la majorité silencieuse? Jamais je n'aurais dénoncé un Juif ou un résistant, certes, mais aurais-je pu passer à l'action, cacher un Juif ou aider un résistant au risque de ma vie?

Je l'ignore, car je ne me suis jamais trouvée dans pareil dilemme, vivant (grâce au ciel!) dans une société épargnée par les vraies tragédies. J'ai souvent été capable d'aller à contre-courant de mon propre milieu, mais il n'était question que de tout petits risques moraux, jamais physiques.

Qu'aurais-je fait, face à la possibilité d'être arrêtée, emprisonnée, torturée, envoyée dans un camp ou exécutée? Je ne sais pas.

Peut-être l'indignation, dans une situation intolérable (celle précisément de la France occupée), m'aurait-elle insufflé un courage que je n'aurais pas cru posséder? Me serais-je au contraire rangée dans le camp des 80% qui ont attendu passivement que l'orage passe?

Pour revenir au Costa Concordia, bien des choses ont changé depuis Churchill... La règle chevaleresque des «femmes d'abord» existe-t-elle encore?

Depuis que les femmes ont accès au pouvoir, qu'elles entrent dans l'armée et la police et que même les plus délicates cultivent leur musculature, sont-elles encore ces faibles créatures que l'on associe aux enfants dans l'éthique du sauvetage en mer?

Les hommes de Polytechnique ont répondu à la question. Pas un d'entre eux n'a tenté de sauver les filles ciblées par Marc Lépine. Il faut croire qu'ils jugeaient leurs compagnes de classe égales à eux, ce qu'elles étaient, en un sens... mais pas aux yeux du tueur.

Je ne juge pas, je constate. Personne n'est obligé d'être un héros. Mais qui applaudira à la disparition graduelle de ces admirables valeurs masculines traditionnelles qu'étaient le courage physique et l'instinct de protection?

Chose certaine, une femme seule dans un navire qui coule a dorénavant intérêt à se fier à ses coudes plutôt qu'à la galanterie masculine... donnant ainsi rétrospectivement raison à Winston Churchill.