Mission accomplie, disent les porte-parole de l'OTAN avec d'autant plus d'assurance qu'il ne se trouve pas grand monde pour les contredire, cette incursion en Libye ayant été couverte, par les médias tant nord-américains qu'européens, avec une complaisance inouïe.

L'OTAN laisse un pays dévasté par les frappes aériennes qui se sont poursuivies nuit et jour pendant six mois. On ne sait pas exactement, compte tenu de l'anarchie qui règne là-bas, à combien se chiffrent les pertes humaines parmi les civils. Sans doute à des dizaines de milliers.

Amorcée sous le parrainage de l'ONU, cette mission, qui visait exclusivement la protection des populations menacées par la rhétorique incendiaire de Kadhafi, a été dévoyée. L'intervention soi-disant humanitaire s'est vite transformée en offensive visant à renverser le régime, doublée de plusieurs tentatives d'assassinat. Devant la résistance imprévue du colonel et de ses loyalistes, et peut-être dans l'espoir d'en finir au plus tôt, l'OTAN a multiplié les bombardements sur les complexes résidentiels des Kadhafi, réussissant au passage à tuer l'un de ses fils et sa petite-fille.

Qui étaient ces rebelles auxquels les puissances occidentales ont naïvement prêté leurs forces militaires? On n'en connaissait presque rien, et le peu qu'on en savait aurait dû sonner l'alarme.

Cette rébellion venait de la partie orientale de la Libye, la région la plus islamiste et la plus socialement conservatrice, celle qui avait fourni le plus gros contingent de djihadistes à Al-Qaïda.

S'est-on demandé, avant de bombarder ce malheureux pays, si les putschistes de Benghazi avaient des appuis réels dans les autres régions? On l'ignorera toujours, car il est impossible de mesurer l'opinion publique dans une société ravagée par la guerre, et émergeant de 40 ans de despotisme. Mais la nature du pays, essentiellement un assemblage de tribus rivales fractionnées selon les clans familiaux et les lignes géographiques, peut laisser croire que la majorité des Libyens n'étaient peut-être pas enclins à se soumettre à un groupe venu de l'est du pays.

D'ailleurs, longtemps après que les frappes eurent débuté, alors que les rebelles poursuivaient leur avance et qu'ils se trouvaient, grâce à l'OTAN, en position de force, on n'a pas vu des populations se soulever contre le régime. Les gens se terraient chez eux ou entassaient leurs familles dans des autos pour fuir le lieu des opérations.

Résultat? Un beau gâchis. Les entrepôts militaires ayant été pillés, des milliers de tonnes de munitions, dont des missiles air-sol hyper-perfectionnés, sont disséminées sans surveillance à travers le pays, et l'on sait qu'une partie des armes a été acheminée jusqu'aux bases qu'Al-Qaïda opère dans le Sahel. Personne ne désarme les milliers de jeunes «shebabs» qui jouaient à la guerre avec leurs kalachnikovs en criant «Allah Akbar!».

Et le nouveau régime a commencé à montrer ses vraies couleurs, au-delà du discours lénifiant des quelques porte-parole cosmopolites qui lui avaient servi de cautions auprès des puissances occidentales. Dans sa première déclaration officielle, le président du Conseil national de transition, Moustapha Abdelhajil, loin d'annoncer l'avènement de la démocratie, a proclamé le règne de la charia et le retour de la polygamie. Et cela, après que le CNT eut placé au poste stratégique de gouverneur militaire de Tripoli un ancien djhadiste d'Al-Qaïda!

Décidément, l'Occident n'apprend jamais rien de ses erreurs. On a livré l'Iran à l'ayatollah Khomeiny. On a armé les talibans contre les Russes. Bush fils a fait exploser l'Irak, libérant les forces les plus obscurantistes du pays. Et l'on vient de livrer à des alliés douteux la Libye, ses vastes ressources et sa population vulnérable... et surtout ses femmes, qui seront les grandes perdantes de l'aventure.