Michael Ignatieff en entrevue éditoriale à La Presse. Il fonce vers le désastre mais reste calme, souriant, d'une courtoisie toute patricienne. L'homme s'exprime dans un français clair et élégant. Il a plus de classe que tous les autres chefs mis ensemble. C'est le seul qui, comme l'écrit Alain Dubuc, maîtrise la pensée complexe. Et c'est de loin le plus cultivé.

Michael Ignatieff en entrevue éditoriale à La Presse. Il fonce vers le désastre mais reste calme, souriant, d'une courtoisie toute patricienne. L'homme s'exprime dans un français clair et élégant. Il a plus de classe que tous les autres chefs mis ensemble. C'est le seul qui, comme l'écrit Alain Dubuc, maîtrise la pensée complexe. Et c'est de loin le plus cultivé.

À un moment donné, parlant de l'encouragement à donner aux grandes entreprises exportatrices, il se défend d'être «colbertiste» (allusion au dirigisme économique pratiqué par le contrôleur des Finances de Louis XIV). Combien de politiciens canadiens sont capables de tenir un discours qui ne déparerait pas dans les plus grandes capitales européennes?

Hélas, au lieu de jouer sur ses véritables forces - sa culture politique, son aisance cosmopolite, les acquis d'une éducation riche et prolongée et d'une expérience internationale comme professeur, journaliste et écrivain -, M. Ignatieff a été obligé de se rapetisser, de se conformer au plus bas commun dénominateur, histoire de se défendre contre la propagande incessante des conservateurs qui en faisait un snob, un «élitiste», un visiteur de passage. Le fait d'avoir écrit 17 livres devrait être porté à son crédit, mais c'est devenu un handicap: ses adversaires ont pigé là-dedans de quoi lui nuire...

Le chef libéral s'est donc appliqué à faire oublier ce passé qui l'avait forgé pour adopter des arguments populistes. Hélas, la métamorphose ne colle pas, on a l'impression que son discours, le plus souvent banal même si l'homme est très bon orateur, ne correspond pas à sa nature profonde.

Quand on lui demande pourquoi il veut être premier ministre, il dit que c'est pour aider Monsieur Machin, pêcheur à Nanaimo, ou Madame Chose, mère monoparentale à Granby. Tout cela est louable, mais le poste qu'il convoite n'est pas celui d'un travailleur social! Quelle est sa vision du pays?

Il finit par dire que c'est «l'égalité» (entre régions et individus). Une réponse bizarre à plus d'un titre, car outre que la recherche d'une égalité encore plus poussée, dans le pays qui est le plus égalitaire au monde en dehors de la Scandinavie, serait plutôt l'affaire du NPD, cela ne vole pas haut comme vision. On a l'impression que laissé à lui-même, M. Ignatieff fournirait une autre réponse, axée celle-là sur les valeurs d'excellence, et qu'il voudrait tirer le Canada vers le haut et vers le grand large, plutôt que de gouverner au ras des pâquerettes.

Mais c'est peut-être un langage dont les Canadiens (incluant les Québécois) ne veulent pas, à en juger par l'extraordinaire médiocrité intellectuelle de cette campagne dont les meneurs sont un «bon Jack» qui distribue les promesses farfelues comme des hot-dogs à un match de hockey, et un premier ministre qui s'efforce d'avoir l'air moins intelligent qu'il ne l'est en se contentant d'avancer deux ou trois idées simples et carrées, comme si les électeurs étaient incapables d'absorber davantage. Pendant ce temps, le NPD se moque des électeurs en présentant des poteaux dont plusieurs sont unilingues... ou en voyage!

Quant à l'autre grand perdant de cette campagne, Gilles Duceppe, sa panique et sa hargne, face à la montée du NPD, contrastaient singulièrement avec la dignité sereine qui marque la fin de la campagne de Michael Ignatieff.

La sortie haineuse et vulgaire de Gérald Larose contre les chefs fédéralistes n'aura fait qu'accentuer l'image d'un Bloc en déroute. Hier, M. Duceppe en était rendu à dire que le NPD «ne peut incarner les valeurs sociodémocrates des Québécois» parce que «son modèle de social-démocratie n'est pas québécois»! N'importe quoi...