Il serait erroné de croire que le même vent de colère, alimenté par les mêmes causes et animé des mêmes aspirations, souffle actuellement sur le monde arabe.

Il serait erroné de croire que le même vent de colère, alimenté par les mêmes causes et animé des mêmes aspirations, souffle actuellement sur le monde arabe.

Il ne s'agit pas d'une vague uniforme, même s'il y a eu un effet domino à partir de la Tunisie, et même si partout l'on utilise les mêmes techniques de communication instantanée. Facebook, Twitter et cie ne sont que des outils, qui n'ont rien à voir avec les motivations profondes des contestataires.

Ce serait s'illusionner de croire que ces révoltes sont toutes inspirées par l'aspiration à des valeurs démocratiques. Chaque pays a ses particularités, l'oppression y prend des formes très diverses, et chaque groupe de révoltés a ses propres frustrations et ses propres objectifs, qui n'ont pas nécessairement à voir avec la soif de libertés individuelles.

C'est en Libye, contre toute attente, qu'est en train de se produire, dans le sang et la terreur, la seule véritable révolution - ce qui s'annonce comme un changement radical de l'ordre établi.

La Tunisie et l'Égypte, par contre, ont été le théâtre non pas de révolutions, mais de soulèvements qui ont forcé la chute des familles au pouvoir, mais n'ont pas fondamentalement transformé la société. Dans ces deux pays, comme d'ailleurs en Algérie, la rébellion a été nourrie non seulement par la répression exercée par des régimes autocrates, mais aussi par un phénomène générationnel très «moderne»: l'émergence d'une multitude de jeunes chômeurs diplômés qui voient leur avenir bouché faute d'emploi.

Ailleurs, cependant, la révolte est alimentée par la domination d'une minorité ethnique ou religieuse, ce qui rend la situation beaucoup plus explosive.  

En Libye, où coexistent quelque 150 tribus «tricotées serrées», le clan au pouvoir vient de la tribu des Kadhafa. Ce n'est pas par hasard que la rébellion ait débuté dans l'est du pays: la ville «libérée» de Benghazi est dans le territoire de la tribu des Warfallah, que la longue domination des Kadhafa a frustré du pouvoir.

Le Yémen, pareillement, est constitué de tribus en constante rivalité, dont les allégeances fluctuantes menacent le régime d'Ali Abdullah Saleh, au pouvoir depuis 32 ans. Parmi les tribus rebelles, il y en a qui servent de refuge à Al-Qaïda... On est loin, ici, du Siècle des Lumières!

Au Bahrein, la révolte se nourrit de la domination d'un groupe religieux minoritaire, d'allégeance sunnite, sur une majorité de chiites. Ces derniers se rebellent parce qu'ils sont victimes de discrimination dans l'emploi et le logement. (Les sunnites détestent les chiites, qu'ils considèrent comme des hérétiques). La dynastie saoudienne, elle aussi sunnite, s'inquiète de sa minorité chiite qui pourrait s'ébranler sous l'influence des voisins bahreïnis...

Si jamais les secousses devaient toucher la Syrie, les revendications se doubleraient, là aussi, d'un conflit ethnoreligieux, car la famille régnante des el Hassad, installée au pouvoir à l'époque des protectorats européens, provient de la minorité alaouite (une branche du chiisme qui représente 10% d'une population à 90% sunnite).

En Jordanie, la dynastie hachémite, installée elle aussi par les Européens, est originaire de l'Arabie Saoudite, alors que la moitié de la population est constituée de réfugiés palestiniens. Dans un passé assez récent, des révoltes en Syrie et en Jordanie ont été écrasées avec une cruauté inouïe, en partie parce que le pouvoir était étranger à la population. Ce qui n'est pas le cas en Tunisie et en Égypte - deux pays unifiés et homogènes où les militaires auraient refusé de tirer sur les manifestants par solidarité nationale.

On le voit, rien n'est uniforme dans ce tableau qui montre la diversité d'un monde arabe qu'on a trop tendance à percevoir comme un bloc.