En toile de fond, derrière les soulèvements populaires en Tunisie et en Égypte, il y a des chiffres. Des chiffres aussi choquants que désespérants sur le sous-développement endémique du monde arabe.

En toile de fond, derrière les soulèvements populaires en Tunisie et en Égypte, il y a des chiffres. Des chiffres aussi choquants que désespérants sur le sous-développement endémique du monde arabe.

Les données ont été recueillies régulièrement depuis 2002 sous l'égide des Nations unies par des groupes de chercheurs qu'on n'accusera pas de préjugés puisqu'ils sont tous arabes.

Ce sous-développement touche tous les secteurs. Qu'on en juge...

• Les 22 pays arabes (335 millions d'habitants) comptent 65 millions d'adultes analphabètes, dont les deux tiers sont des femmes.

• Dix millions d'enfants d'âge scolaire ne vont pas à l'école.

• L'espérance de vie des femmes est inférieure à la moyenne mondiale.

• L'investissement dans la recherche et le développement représente moins d'un septième de la moyenne mondiale.

• En mille ans, les Arabes ont traduit à peu près le même nombre de livres que l'Espagne en une seule année. Autre angle de comparaison, entre 1980 et 2000, la Grèce avait traduit cinq fois plus de livres que l'ensemble du  monde arabe... Pendant cette même période, seulement six pays arabes (dont l'Égypte, les Émirats et l'Arabie Saoudite) avaient enregistré, au total, 367 brevets scientifiques... pendant que la Corée du Sud en enregistrait 16 328, et Israël, 7652.

• Par ailleurs - ceci causant cela - tout le monde arabe, sans exception, est aux mains de monarchies héréditaires (comme en Arabie Saoudite, en Jordanie, au Maroc ou au Koweït) et de régimes autoritaires ou despotiques (Libye, Égypte, Syrie, Yémen, Algérie, etc.), dont plusieurs se maintiennent au pouvoir grâce aux revenus faramineux du pétrole.

À quoi tient ce sous-développement chronique, dans un monde qui fut dans un passé lointain l'un des grands phares de la civilisation?

Certains Arabes entonnent le refrain bien connu de la victimisation, sur le thème du «c'est toujours la faute des autres». Les coupables seraient le colonialisme... et, bien sûr, les États-Unis. L'affirmation ne résiste guère à l'analyse.

S'il y a un pays où pèse la présence américaine, c'est bien la Corée du Sud, où sont stationnés 28 000 soldats de la US Army! Or, la Corée du Sud est une société extrêmement dynamique.

Le colonialisme? L'Arabie Saoudite n'a jamais été colonisée. La plupart des pays arabes n'ont pas été colonisés au sens strict du terme; ils ont plutôt vécu sous des protectorats français ou britanniques, un mode d'exploitation moins lourd que le colonialisme.

Quant aux ex-colonies, la plupart ont brillamment surmonté leur passé. Ne pensons qu'à l'Amérique latine, entièrement formée d'anciennes colonies, à Taiwan et à la Corée du Sud, brutalement colonisées par le Japon. La Chine a été dépecée par les puissances occidentales pendant plus d'un siècle, et l'on sait ce qu'il en est advenu. Le Vietnam, qui a été colonisé par la France avant d'être envahi par les troupes américaines, se tire drôlement bien d'affaire.

Référons-nous plutôt aux experts de l'ONU. Ils ont identifié trois causes principales du sous-développement du monde arabe : l'absence de libertés démocratiques, la «mauvaise gouvernance», le manque d'échanges intellectuels avec le reste du monde, et surtout, l'infériorisation des femmes, dont le taux de participation à la vie publique est le plus faible au monde.

Aucun pays ne peut progresser, affirmait en 2002 le rapport du programme de l'ONU sur le développement, s'il refuse d'utiliser les capacités de la moitié de sa population.

Encore faudrait-il expliquer pourquoi les femmes sont plus infériorisées dans le monde arabe qu'ailleurs. L'explication réside sans doute bien davantage dans l'intégrisme islamiste que dans la culture arabe, puisque la répression des femmes est tout aussi marquée, sinon plus, dans des sociétés non arabes, mais musulmanes comme l'Afghanistan, les zones rurales du Pakistan ou l'Iran des ayatollahs.