Se pourrait-il que la présence de journalistes «embedded» avec les forces armées en Afghanistan constitue un facteur de risque supplémentaire pour les soldats? Et que la présence de reporters dans un convoi en fasse une cible particulièrement appréciée des talibans?

Se pourrait-il que la présence de journalistes «embedded» avec les forces armées en Afghanistan constitue un facteur de risque supplémentaire pour les soldats? Et que la présence de reporters dans un convoi en fasse une cible particulièrement appréciée des talibans?

Telles sont les questions troublantes que soulève un grand reportage publié le 30 décembre dans le Globe and Mail.

Le reporter Colin Perkel est revenu sur la terrible déflagration du 30 décembre 2009 qui a coûté la vie à quatre soldats et à la journaliste Michelle Lang du Calgary Herald, et très grièvement blessé les cinq autres occupants du blindé, dont une fonctionnaire civile du ministère de la Défense, Bushra Saeed, 26 ans. Comme Charles Dubois, le caméraman de Radio-Canada victime d'une attaque analogue en 2007, elle a dû se faire amputer une jambe.

La tragédie avait débuté comme une mission de bonne entente avec la population locale. Les 18 militaires sont répartis entre deux blindés (baptisés Alpha et Charlie). Mmes Lang et Saeed sont dans Charlie. Le convoi s'arrête successivement dans deux villages du sud de Kandahar.

À chaque arrêt, les deux femmes sont présentes, clairement identifiables comme civiles et/ou journalistes puisqu'elles ne portent pas d'armes et prennent des notes (Mme Lang prend également des photos). Chaque fois, elles attirent les regards des «locaux» qui les entourent de près. Ces attroupements rendent les soldats nerveux et Mme Saeed est manifestement mal à l'aise, avec tous ces enfants qui se pressent contre elle.

Les deux femmes, signale Perkel, qui a interviewé nombre de survivants, sont des proies de choix pour les indicateurs talibans qui se seraient glissés dans la foule. Et il sera facile à ces derniers de savoir dans quel véhicule elles voyagent.

«Les gens s'imaginent que les insurgés agissent au hasard», dit le caporal Shier. «C'est faux. Ils planifient leurs coups.»

Et ils ne sont pas stupides, pourrait-on ajouter. Ils savent que la mort de journalistes, à plus forte raison si ce sont des femmes, aura en Occident un impact médiatique bien plus grand que le décès de militaires de carrière.

Le convoi doit emprunter, selon les règles, une route différente pour revenir à la base. Mais il y a un embouteillage à l'entrée de Kandahar, et le commandant décide de reprendre la même route qu'à l'aller, Charlie suivant Alpha à une vingtaine de mètres de distance. C'est là que surviendra l'explosion qui ravagera les 20 tonnes de Charlie - comme par hasard celui qu'occupaient les deux voyageuses «embedded».

Une énorme charge d'explosifs avait été enterrée sous la route et n'attendait que la poussée d'un doigt sur le détonateur, relié par un long fil aux explosifs. On remarquera que les insurgés ont attendu le retour des chars avant de faire détonner la charge... et que ce fut très précisément au passage de Charlie. Les «combattants ennemis» étaient alors en mesure de savoir qui voyageait dans les blindés. Une hypothèse est que l'embouteillage avait été orchestré pour forcer le convoi à revenir par cette route.

Depuis l'institut de réhabilitation où elle essaie de retrouver l'usage de ses jambes, Mme Saeed s'interroge encore: «Peut-être que si Michelle et moi n'avions pas été là, on n'aurait pas fait exploser la bombe.»

L'intégration de civils dans des missions dangereuses - elles le sont toutes, en Afghanistan - accroît-elle les risques d'un attentat? Certes, les journalistes peuvent travailler sans la protection de l'armée... au risque de se faire prendre en otage. Mais il n'est pas évident qu'une expédition en blindé militaire, surtout si leur présence est visible, soit moins risquée.