C'était à Montréal, dans les années 20, je crois. L'une des soeurs de mon père, séduite par le médecin de la famille, était devenue enceinte. Horrifiés à l'idée de voir leur respectabilité bourgeoise à jamais ternie, mes grands-parents sommèrent le médecin de mettre un terme à la grossesse de leur fille. Il était coupable, à lui de réparer sa faute... Le médecin s'exécuta, avec les techniques dont on disposait à l'époque. Quelques heures après l'opération, la jeune fille - ma tante inconnue - mourut de septicémie.

C'était à Montréal, dans les années 20, je crois. L'une des soeurs de mon père, séduite par le médecin de la famille, était devenue enceinte. Horrifiés à l'idée de voir leur respectabilité bourgeoise à jamais ternie, mes grands-parents sommèrent le médecin de mettre un terme à la grossesse de leur fille. Il était coupable, à lui de réparer sa faute... Le médecin s'exécuta, avec les techniques dont on disposait à l'époque. Quelques heures après l'opération, la jeune fille - ma tante inconnue - mourut de septicémie.

Montréal, années 50. Dans le quartier de la Côte-des-Neiges, entre le collège Brébeuf et la rue Gatineau, il y avait un joli complexe domiciliaire autour d'un très grand jardin fleuri. C'étaient «les appartements du Docteur L.». On chuchotait qu'il avait fait sa fortune en pratiquant des avortements clandestins. À l'autre bout de la ville, rue Saint-Hubert, s'élevait l'Hôpital de la Miséricorde, qui accueillait les «filles-mères» sans le sou. On longeait ses murs gris - ces murs de la honte - en frissonnant.

Montréal, années 60. On vivait encore sous le joug de la malédiction qui asservissait les femmes depuis des millénaires. La pilule anticonceptionnelle venait d'être commercialisée aux États-Unis mais au Québec, il fallut attendre plusieurs années avant d'y avoir accès. Chaque mois, l'angoisse revenait... jusqu'au moment où s'écoulaient les premières gouttes de sang qui vous annonçaient que vous étiez indemne.

Mai 2010. La pilule a 50 ans. Un anniversaire d'une importance incommensurable, car cette invention a transformé nos sociétés développées plus que tout autre facteur.

On ne dira jamais assez la terreur qui étreignait les femmes d'avant la pilule. Aucune méthode n'était sûre. Dans mon milieu, personne ne pratiquait la méthode Ogino qui, bien qu'elle fût fort aléatoire, avait tout de même aidé les générations précédentes à diminuer les naissances. Les condoms, moins répandus et moins perfectionnés qu'aujourd'hui (personne ne parlait des MTS à l'époque), étaient rebutants et risqués: la moindre maladresse, la moindre déchirure du latex vous mettait à risque. Les autres méthodes avaient au moins sur le condom l'avantage de remettre à la femme seule le contrôle de la reproduction, mais chacune avait ses désavantages.

Le diaphragme était difficile à manipuler et à intégrer aux jeux sexuels, et il pouvait en outre se déplacer pendant l'amour. Le stérilet, invisible, enfoui dans l'utérus, était la méthode la plus sûre et la plus «user-friendly», mais la pose et le retrait nécessitaient une intervention médicale qui pouvait vous faire passer par des douleurs atroces, et plusieurs femmes étaient allergiques au cuivre ou craintives à l'idée de recevoir à demeure un corps étranger.

La «pilule» fut le miracle d'où allaient ensuite découler toutes les étapes de la libération de la femme. Libérées des grossesses non voulues, elles allaient prendre en mains non seulement leur sexualité, mais leur vie tout entière. Étudier. Travailler. Échapper à la domination de l'homme. Faire l'amour sans arrière-pensées, sans cette frayeur diffuse qui venait du fond des âges et dont jamais auparavant les femmes n'avaient pu se libérer.

Quelques années plus tard, la frange granola-radicale du mouvement féministe partit en guerre contre les contraceptifs oraux. Ces hormones de synthèse, produits de la biochimie commercialisés par des laboratoires pharmaceutiques, étaient un autre complot de l'empire médicalo-industriel! Heureusement, peu de femmes écoutèrent ce discours passéiste. Outre que la science et la pharmacologie, justement, ont sauvé l'humanité des pires fléaux (qu'on pense aux antibiotiques, aux vaccins, aux rayons X, à l'insuline...), les rares effets secondaires de la pilule n'étaient rien en comparaison des épreuves physiques et morales que la maternité non voulue et les grossesses à risque avaient imposées aux femmes.