Le prix Nobel de la paix à Obama? Mais pourquoi? Parce qu'il a écrit de beaux discours? Parce qu'il est le premier Noir à accéder à la Maison-Blanche?

Ce ne sont pas de bonnes raisons, à moins de triturer le sens des mots. Normalement, le prix Nobel de la paix est destiné à des gens dont l'action (non pas les discours d'intention) a favorisé l'avènement de la paix quelque part dans le monde. Comme, par exemple, Gorbatchev, Mandela, Sadate ou Hume et Trimble en Irlande du Nord.

 

Barack Obama n'est qu'au début de son premier mandat, et ce n'est pas le diminuer que de dire que ses appels conciliants à la bonne volonté n'ont pas encore porté leurs fruits. Les rêves de paix ne sont pas des réalisations.

Les contentieux avec l'Iran et la Corée du Nord ne sont aucunement réglés. Le conflit au Proche-Orient non plus, et s'il y a des progrès qui s'y annoncent confusément, ils sont dus, non pas au président américain, mais aux pressions internes des démocrates israéliens et à l'émergence, en Cisjordanie, d'une classe moyenne palestinienne qui en a marre du Hamas. Enfin, Obama entend quadrupler les forces militaires en Afghanistan et maintient toujours en Irak des troupes armées jusqu'aux dents... Cela ne constitue pas exactement des missions de paix!

Ce n'est pas le premier choix bizarre du jury du Nobel. En 2005, on a donné le prix à El Baradei, l'ex-directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique dont la complaisance envers l'Iran n'est plus à démontrer. En 2001, à l'ex-patron de l'ONU Kofi Annan, qui a laissé faire les massacres au Rwanda. Ces dernières années, on a favorisé les militants environnementalistes, qui n'ont pourtant rien à voir avec la résolution de conflits (Al Gore, ou une experte en reforestation du Kenya). Comme si le concept de paix était un gigantesque fourre-tout pour diverses bonnes causes.

Les Nobel ont gardé leur pesant d'or dans les domaines où les réalisations sont facilement quantifiables, comme la médecine, la physique ou la chimie. Mais dans un domaine à haute teneur subjective comme la littérature, il y a longtemps que le prix Nobel a perdu son éclat. Le «politically correct» et les préjugés l'emportent trop souvent.

Cette année, comme en 2004, le prix littéraire va à un auteur marginal... qui a l'atout d'être une femme (Herta Muller, Elfriede Jelinek, vous connaissez?). Plusieurs ont vu dans le choix de Harold Pinter, en 2005, une récompense pour ses virulentes sorties anti-américaines contre la guerre en Irak, quoique son oeuvre eût mérité un prix.

Nombre de grands écrivains ont été honorés (Lessing, Pamuk, Le Clézio, Coetzee, Naipaul, Mahfouz, etc.), mais compte tenu de la richesse de la littérature américaine, il est anormal que les Américains aient été si peu présents dans le palmarès depuis Steinbeck, en 1962. Seules exceptions: Saul Bellow (1976), qui est né au Canada, Isaac Bashevi Singer (1978), qui écrivait en yiddish sur la vie dans la Pologne d'avant-guerre, Czeslaw Milosz (dont l'oeuvre se passe aussi en Pologne), et Toni Morrison (1993), qui avait le mérite d'être femme et noire. Où sont Philip Roth, John Updike, Joyce Carol Oates?

Mais comment s'en étonner, après la sortie de Horace Engdahl, qui présidait le jury littéraire jusqu'à cette année? «L'Europe, disait-il, reste le centre de la littérature mondiale. Les États-Unis sont trop isolés, trop insulaires, ils ne traduisent pas assez, ils ne participent pas assez au grand dialogue de la littérature...» Il est vrai que les Américains lisent peu de traductions. Mais cela n'excuse pas l'ignorante arrogance de M. Engdahl.