Consternation chez les artistes de nombreux pays, qui comptaient sur la France pour les protéger contre les téléchargements illégaux. Le Conseil d'État, qui est un peu l'équivalent de notre Cour suprême, vient de renverser la loi dite Hadopi du gouvernement Sarkozy, jugeant que la sanction ultime imposée aux internautes - la coupure de l'accès à l'Internet - allait à l'encontre de la présomption d'innocence et qu'elle bafouait la liberté d'expression et de communication.

La décision a été reçue comme un soufflet au Sommet mondial du droit d'auteur, qui se déroulait au même moment à Washington. Elle vient confirmer que les artistes, notamment les musiciens et les cinéastes, dont les oeuvres se trouvent sur YouTube et ailleurs, sont les seuls travailleurs à qui la société refuse le droit d'être rémunérés.Le Conseil constitutionnel n'interdit pas tous les recours, mais il impose à l'État de soumettre les abus, cas par cas, au jugement d'un tribunal - une procédure trop lourde pour être efficace.

Cela met fin à un épisode inhabituel dans le monde politique français. Le projet de loi avait enthousiasmé les créateurs, et fait du président Sarkozy l'idole provisoire des milieux artistiques... tandis que les socialistes, qui bataillaient contre le projet, l'oeil sur l'électorat des jeunes, se voyaient conspués par leurs alliés de toujours.

Le jugement de la Cour constitutionnelle ne surprend pas, surtout en ce qui concerne la présomption de culpabilité instaurée par la loi Hadopi: le présumé «pirate» aurait dû prouver, chose quasi impossible, qu'il n'était pas l'auteur du téléchargement effectué sur son ordinateur... Faut-il pour autant se réjouir de ce que l'accès à l'Internet soit maintenant considéré comme un «droit fondamental» ? Il me semble que c'est pousser très loin la notion des «droits».

Personnellement, j'aurais bien du mal à vivre sans l'Internet, mais tout de même, l'accès à cette technologie est-il du même ordre que le droit à la vie et aux grandes libertés fondamentales? Certainement pas. Même dans un pays moderne comme la France, il y a des régions qui ne peuvent être branchées à l'Internet; faut-il comparer leurs habitants aux prisonniers politiques qui pourrissent dans les geôles des dictatures? N'y a-t-il pas une limite au nombre de «droits» dont on peut se prévaloir, dans ce monde où l'on en est rendu à considérer le «droit à l'enfant» comme un droit fondamental, ce qui justifierait le défraiement par les contribuables des coûteux traitements de fertilité, voire ceux qui permettraient à des femmes de 65 ans d'avoir un poupon pour égayer leurs vieux jours?

Peut-être le Conseil a-t-il voulu s'inscrire dans l'air du temps et moderniser le droit en tenant compte de cette innovation majeure qui a, c'est vrai, bouleversé l'univers de l'expression et de la communication. Mais alors, que fait-on de ces artistes que l'Internet prive injustement de leurs droits d'auteur?

Les socialistes qui ont fait campagne contre la loi Hadopi n'ont pas apporté de réponse, sinon des affirmations lapidaires, toutes contestables. Exemple: «La Toile a instauré l'ère de la gratuité.». Ou, pire: «Les jeunes n'ont tout simplement pas les moyens d'acheter des CD.» Alors quoi? On n'a pas les moyens d'acheter un CD, donc on le vole? Tolérerait-on ce raisonnement s'il s'agissait d'une automobile ou d'une paire de baskets?

Le problème reste entier. La «Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur l'Internet» (d'où le sigle Hadopi) devra se contenter de signifier aux pirates de pieux avertissements en espérant que la pédagogie saura remplacer les sanctions... Mais que vaut une loi sans dents?