Nous sommes dans l'ère du village global et nulle part davantage qu'aux États-Unis peut-on le sentir. Le président désigné est un Barack Hussein Obama, de père kényan et musulman, et son bras droit, un Rahm Israël Emanuel, de père israélien et juif!

Il ne faut pas voir là de symboles communautaires, encore moins l'amorce d'un processus de paix au Moyen-Orient. Gardons-nous des extrapolations délirantes. Obama est tout simplement allé chercher celui qu'il considère comme le meilleur homme pour assumer la fonction difficile et délicate de directeur de cabinet, et il se trouve que cet homme est juif.

Si on leur demandait comment ils s'identifient, les deux hommes répondraient d'une seule voix qu'ils se considèrent américains, point à la ligne. Mais quand même, on ne peut s'empêcher de remarquer - et d'admirer - la formidable puissance assimilatrice de ce grand pays, qui a fait de gens qui viennent d'horizons si différents des Américains, point à la ligne. Et qui hisse des fils d'immigrés au pouvoir suprême.

Les États-Unis ont toujours été un immense creuset, un fertile bouillon de cultures mélangées. Ils sont aujourd'hui le pays par excellence du métissage.

Le premier geste du président désigné a été la nomination de Rahm Emanuel comme directeur de cabinet. Loin d'être symbolique, cette nomination en dit très long sur la trajectoire qu'Obama entend imprimer à son administration.

Rahm Emanuel, 48 ans, est un politicien atypique. Fils d'un médecin immigré d'Israël, il a été danseur étoile de ballet avant de faire une maîtrise en communications. On croirait avoir affaire à un doux, un artiste porté à l'introspection et à la compassion. Erreur.

Muni d'un bagage universitaire fort léger, mais d'une intelligence foudroyante, il fit son chemin dans l'univers coupe-gorge de la politique démocrate de Chicago (c'est là qu'il rencontra Obama), pour devenir l'un des principaux conseillers du président Clinton, après avoir dirigé les campagnes de financement du maire Daley et de l'ancien président.

En 2002, il laissa la politique pour les affaires, et travailla comme administrateur principal pour une grande banque d'investissement. Un autre monde de coupe-gorge... Après avoir assuré l'avenir de sa famille (une femme, trois enfants) en amassant en deux ans quelque 16 millions de dollars, il retourna en politique et se fit facilement élire au Congrès comme représentant de l'Illinois. Un pied en politique, l'autre dans les affaires, il fut l'un des principaux collecteurs de fonds de la campagne d'Obama.

On le dit intraitable, agressif, hyper-discipliné et d'une efficacité redoutable. Nonobstant sa petite taille et son ossature délicate, on le surnomme «Rambo».

Cet homme, comme l'illustre son parcours professionnel bigarré, est d'une complexité inouïe. Tant le New York Times que le Wall Street Journal le décrivent comme férocement partisan et pourtant capable de «tendre la main» vers l'adversaire républicain. C'est un pragmatique, les yeux rivés sur le résultat à atteindre.

Obama n'est pas allé chercher un idéaliste, pour le seconder dans les durs combats qui l'attendent, mais un politicien qui a une connaissance concrète du monde bancaire et des milieux d'affaires, un homme capable de «livrer la marchandise», capable de gérer les factions démocrates belliqueuses du Congrès et de faire alliance avec les républicains quand il le faut.

Les temps sont durs en effet, et ce ne sont pas les états d'âme qui résoudront la terrible crise économique qui s'abat sur les États-Unis. Un peu comme le président Sarkozy en France, Obama semble résolu à traverser les lignes partisanes. Mais Sarkozy, en nommant des socialistes à des postes-clés, voulait simplement élargir sa base et neutraliser l'adversaire. Obama, confronté à une situation beaucoup plus dramatique, est absolument obligé de solliciter les avis et les bonnes volontés, d'où qu'ils viennent. C'est toute la différence entre la tactique et la nécessité.

Selon le Wall Street Journal, Obama a déjà contacté des économistes de premier plan de la fameuse Chicago School of Economics - naguère le foyer de l'idéologie du libre marché, mais convertie depuis, au pragmatisme. À droite comme à gauche, la crise aidant, on s'attache moins aux principes et aux formules qu'à «ce qui marche». Les faits, voilà ce qui guide la plupart des économistes américains d'aujourd'hui. Et Obama aussi, apparemment.