Depuis les 15 dernières années, la gouvernance des sociétés publiques a été au coeur de bien des débats. Est-ce que les administrateurs ont l'indépendance nécessaire pour remplir de façon adéquate leur rôle de veiller aux intérêts à long terme de leur entreprise ou sont-ils là pour assurer la plus forte valorisation possible de leurs actionnaires ?

Voilà le genre d'enjeu sur lequel se penche depuis des années Yvan Allaire, professeur émérite de l'UQAM et président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques.

J'ai eu la chance, la semaine dernière, d'animer un panel de discussion autour de ces questions avec M. Allaire et deux autres spécialistes de la gouvernance des entreprises, Marie Giguère, première vice-présidente, affaires juridiques et secrétariat, de la Caisse de dépôt et placement, et Stéphane Rousseau, vice-doyen aux études supérieures et à la recherche, professeur et titulaire de la Chaire en gouvernance et droit des affaires à la faculté de droit de l'Université de Montréal.

Les trois experts étaient réunis jeudi dernier dans le cadre d'une conférence organisée par l'Association du Barreau canadien dont le thème portait précisément sur la rémunération des administrateurs et l'exercice de leur devoir fiduciaire.

Première constatation, les administrateurs de sociétés publiques québécoises et canadiennes ne bénéficient pas d'une rémunération exagérée alors qu'on observe un écart inférieur de 40 % par rapport aux émoluments d'administrateurs de sociétés publiques américaines comparables, a précisé d'entrée de jeu Yvan Allaire.

Marie Giguère a abondé dans le même sens, soulignant toutefois que la Caisse de dépôt préfère de loin qu'une partie de la rémunération des administrateurs de sociétés publiques soit constituée d'unités d'actions différées, encaissables lorsqu'ils quittent leurs fonctions. La meilleure façon, selon elle, de garder l'administrateur dans une perspective de long terme.

Le professeur Rousseau a par ailleurs souligné la situation paradoxale dans laquelle se trouvent les administrateurs puisqu'ils ont la responsabilité de déterminer eux-mêmes le niveau de leur rémunération. Ce conflit d'intérêts manifeste n'a cependant pas généré d'abus significatifs, estime M. Rousseau, puisque les administrateurs s'obligent à une forme d'autocensure.

RONA ET BOMBARDIER, DEUX CAS D'ESPÈCE

On a évidemment évoqué le dossier récent de la vente de Rona où les membres du conseil d'administration ont rapidement recommandé l'acceptation de l'offre de la société Lowe's.

Bien sûr, la prime de plus de 100 % qu'a offerte Lowe's était difficilement rejetable d'un simple revers de la main, mais on peut se demander si le fait que le président du conseil Robert Chevrier encaisse 3,8 millions en revendant les actions qu'il a accumulées en trois ans seulement ne constituait pas en soi un incitatif à régler rapidement le dossier.

Un autre administrateur de Rona, l'ex-président du conseil Robert Paré, encaissera 2,47 millions au terme de cette transaction. Les trois panélistes ont convenu que la transaction était hautement profitable pour les hauts dirigeants de Rona, mais qu'il n'y avait pas d'autres solutions.

J'ai aussi demandé aux panélistes si le conseil d'administration de Bombardier avait pleinement protégé les actionnaires de l'entreprise en acceptant que le gouvernement du Québec obtienne la moitié de la propriété de la C Series et que la Caisse de dépôt acquière le tiers de Bombardier Transport, diluant ainsi d'autant la propriété des actionnaires.

« Ç'aurait été quoi, l'alternative, pour les actionnaires ? s'est interrogé Stéphane Rousseau. Est-ce que cela aurait été mieux pour eux que Bombardier se place sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ? »

Yvan Allaire a abondé en précisant que cette dilution de la profitabilité à venir de Bombardier se répercutait sur la valeur de l'action de l'entreprise. Marie Giguère a préféré ne pas commenter le cas de Bombardier puisque la Caisse est directement impliquée dans le dossier.

Ces deux cas d'espèce d'entreprises québécoises qui ont dû faire face à des situations de gouvernance d'urgence et prendre des décisions qui vont influer sur leur avenir ou leurs actionnaires démontrent que les conseils d'administration doivent savoir trancher. Ce qui nous ramène au très juste constat qu'a fait l'homme politique français Pierre Mendès France : gouverner, c'est choisir.