Le gouvernement du Québec a annoncé cette semaine qu'il allait avancer 190 des 250 millions que coûtera la conversion d'une machine à papier journal de l'usine Kruger à Trois-Rivières en machine à carton doublure recyclé. Excellente nouvelle pour les employés qui vont conserver leur emploi, mais l'ampleur de l'intervention financière de l'État étonne, tout autant que le fait que le gouvernement devient actionnaire d'une entreprise et fera concurrence à d'autres acteurs déjà implantés au Québec.

Depuis 15 ans, la consommation de papier journal est en déclin constant, et la demande ne fera que continuer de fléchir au cours des prochaines années. Je n'apprends rien à personne ici, et surtout pas aux milliers de travailleurs de l'industrie papetière qui ont perdu leur emploi durant la dernière décennie.

Au lendemain de l'annonce de la fermeture de la principale machine à papier de l'usine Kruger à Trois-Rivières, La Presse a annoncé la fin de l'impression de son édition papier en semaine, confirmant la réussite de son nouveau modèle de journal numérique et l'irrémédiable agonie du support papier.

Il y a 15 ans, Kruger produisait 1,2 million de tonnes de papier journal par année. Avec la fin de la production annuelle de 200 000 tonnes de sa machine numéro 10 à Trois-Rivières, Kruger aura une production annuelle totale de 600 000 tonnes.

C'est la moitié moins qu'il y a 15 ans et cela reflète sensiblement la baisse de tirage moyen équivalente qu'a subie l'industrie des journaux en Amérique du Nord.

« Kruger va rester le troisième [...] producteur de papier journal en Amérique du Nord, mais on rend service à tout le monde en réduisant l'offre de 200 000 tonnes. On va mieux gérer nos trois usines restantes, et Résolu va aussi profiter de cette baisse de production », m'expliquait hier Jean Majeau, vice-président principal de Kruger.

La conversion de la machine numéro 10 en machine à carton doublure recyclé va permettre de maintenir les 270 emplois à l'usine de Trois-Rivières, qui produira 360 000 tonnes métriques de ce carton dont plus de 100 000 tonnes seront transformées dans les usines d'Emballages Kruger à Montréal et à Brampton, en Ontario. Le reste va prendre le chemin du marché américain.

Le gouvernement du Québec accorde un prêt de 84 millions pour réaliser la modernisation de la machine, et Investissement Québec (IQ) injecte 106 millions dans le capital d'Emballages Kruger et devient actionnaire à hauteur de 25 % de la société qui regroupe les activités des usines de Montréal et de Brampton.

L'aide financière totale de Québec représente donc 76 % des 250 millions nécessaires à la réalisation du projet de modernisation.

Investissement Québec, l'actionnaire

La participation d'IQ au capital d'Emballages Kruger est conforme à la nouvelle politique d'investissement que le ministre Jacques Daoust a fait adopter. On veut participer au succès souhaité de l'entreprise et des bénéfices qu'elle générera éventuellement, plutôt que de prendre le seul risque de lui prêter de l'argent.

La participation dans Kruger est le deuxième investissement en importance que réalise IQ après les 220 millions que l'institution a injectés dans le projet de mine de diamant Stornoway.

Investir dans la seule usine de diamant du Québec ne pose pas de problème puisque Québec ne favorise pas une entreprise au détriment d'une autre.

D'un point de vue éthique toutefois, l'intervention dans Kruger est beaucoup plus délicate puisque Québec devient actionnaire d'une entreprise qui fera concurrence à des acteurs en place, tels que Cascades - dont la filiale Norampac gère un réseau de 37 usines en Amérique du Nord - et de l'entreprise américaine RockTenn qui possède une usine de carton doublure à La Tuque.

Est-ce qu'Investissement Québec sera en mesure d'accueillir une demande de participation financière de la part de Norampac ou de RockTenn en sachant qu'elle peut affecter le rendement de son placement dans Emballages Kruger ?

Le ministre du Développement économique Jacques Daoust ne voulait pas cautionner le programme des Gazelles parce que, disait-il, il ne voulait pas favoriser une PME émergente d'une région au détriment d'entreprises concurrentes du même secteur.

C'est pourtant exactement ce que vient de faire Investissement Québec. L'institution favorise une entreprise au détriment d'entreprises déjà implantées au Québec et qui lui feront concurrence.