Encore cette année, le printemps tardif a retardé le temps des semences dans à peu près toutes les régions du Québec, mais la chaleur des derniers jours a enfin permis aux agriculteurs du sud de la province de redémarrer leur machine de production. Encore cette année, c'est toutefois encore avec un nombre d'acteurs en baisse que s'ouvre la nouvelle saison agricole.

D'année en année, le nombre de fermes diminue au Québec. Cette réalité statistique n'est pas une nouveauté. Elle est observable depuis 1941 - au plus fort de l'effort de guerre - lorsque le nombre d'exploitations agricoles a atteint le niveau historique de 154 699 fermes au Québec.

Depuis l'atteinte de ce sommet, le nombre de fermes n'a cessé de décliner, en raison notamment de l'urbanisation tentaculaire et de l'augmentation de la superficie moyenne des exploitations agricoles qui est passée de 47 hectares, en 1941, à 114 hectares, en 2011.

Depuis 20 ans, le phénomène s'est poursuivi puisque, selon Statistique Canada, le nombre de fermes est passé de 36 000, en 1996, à 30 675, en 2006, et à 29 000, selon les plus récentes statistiques colligées par l'Union des producteurs agricoles (UPA).

Le nombre de fermes diminue au Québec tandis que l'âge moyen des exploitants augmente puisque plus de 40% des propriétaires de fermes sont âgés de plus de 55 ans et que seulement 30% de ces exploitants agricoles peuvent compter sur une relève familiale pour poursuivre les activités.

C'est dans ce contexte qu'on a assisté au cours des dernières années à l'émergence de nouveaux groupes d'investisseurs qui se sont mis à racheter des terres, dont certaines trouvaient difficilement preneur, dans le but de profiter de leur potentiel de valorisation ou pour les exploiter sur une base industrielle.

C'est ce dernier objectif que s'est fixé la société Pangea, mise sur pied par l'entrepreneur Charles Sirois et son associé Serge Fortin, en procédant depuis deux ans et demi au rachat de 10 000 acres de terres agricoles qui ont été greffées aux 5000 acres d'agriculteurs exploitants qui se sont associés à leur démarche.

Ils ont ainsi formé huit Sociétés d'opération agricole (SOA), sept au Québec et une en Ontario, qui sont chacune gérées par un agriculteur local qui détient 51% de la SOA.

L'objectif de Pangea est de créer des SOA qui regroupent chacune 2000 acres de terres cultivables, dans un rayon de 10 kilomètres, pour aller chercher le plein potentiel de chaque parcelle disponible.

«Déjà en 2013, en rationalisant et en optimisant les moyens de production - intrants, machinerie, main d'oeuvre - on a enregistré une augmentation de 20% de nos revenus. L'an dernier, on a réalisé des gains de 33%», m'explique Serge Fortin, le responsable des activités de Pangea.

Une démarche critiquée

Cet intérêt de nouveaux acteurs «financiers», dans le secteur agricole inquiète au plus haut point et depuis un moment déjà l'Union des producteurs agricoles, qui a demandé au gouvernement Couillard un moratoire de trois ans durant lequel on limiterait à 250 acres l'achat de nouvelles terres par un même individu ou société apparentée.

L'UPA et la Fédération de la relève agricole du Québec ont fait cette requête dans le cadre d'une commission parlementaire qui s'est tenue en mars dernier sur le phénomène de l'accaparement des terres agricoles.

«On a témoigné durant deux jours pour bien faire comprendre à tout le monde que Pangea n'est pas un fonds d'investissement agricole mais un fonds d'opération qui veut stimuler l'entrepreneuriat dans ce secteur d'activité.

«On s'engage avec nos partenaires des SOA de ne pas toucher au zonage des terres qu'on exploite pour une durée minimale de 50 ans. On ne veut pas spéculer sur la valeur des terres mais bien les exploiter au maximum», précise Serge Fortin.

Certains fonds d'investissement tels que AgriTerra ou Investerre ne cachent pas qu'ils souhaitent tirer profit de l'appréciation de la valeur des terres qu'ils ont acquises pour faire un profit.

Ce sont des investisseurs financiers qui veulent profiter de la rareté mondiale grandissante de cet actif stratégique.

Chose certaine, le prix des terres agricoles du Québec a enregistré une plus-value spectaculaire depuis deux ans, de 24,7%, en 2013, la troisième hausse la plus importante au Canada après le Manitoba et la Saskatchewan, et de 15,7%, en 2014, derrière les 18,7% enregistrés par la Saskatchewan.

«Pour les jeunes de la relève, c'est une catastrophe, on ne sera tout simplement plus capable de racheter les fermes de nos parents. Ils vont préférer vendre à gros prix aux spéculateurs», déplore Pascal Hudon, président de la Fédération de la relève agricole du Québec.