La direction de SNC-Lavalin n'a pas été en mesure de profiter du dévoilement de ses résultats financiers pour rassurer les marchés jeudi. L'annonce de la réalisation d'un spectaculaire bénéfice net de 1,15 milliard au 4e trimestre n'a pas occulté la mollesse de ses prévisions pour 2015, et l'action de la multinationale a poursuivi sa dégringolade, augmentant d'autant la vulnérabilité de l'entreprise à une offre d'achat.

On dit souvent qu'il n'est pas facile de faire virer un paquebot. Que cela prend du temps et de la distance.

SNC-Lavalin est un très gros paquebot que l'on tente depuis plusieurs mois de faire virer dans une mer extrêmement agitée, remplie d'icebergs et parsemée d'écueils, avec des officiers qui ont quitté le navire et des nouveaux qu'on a catapultés à bord.

Bref, l'entreprise qui s'est engagée il y a deux ans dans un nécessaire mais long processus de révision et d'épuration de ses pratiques d'affaires a entrepris, depuis, le recentrage de ses activités en se délestant de toutes celles qui ne répondaient pas à ses critères de rentabilité.

SNC-Lavalin privilégie maintenant les travaux d'ingénierie dans le secteur des ressources - principalement celui du pétrole et du gaz avec l'acquisition de la firme britannique Kentz - l'électricité et les travaux d'infrastructures.

Les activités d'opération et de maintenance sont poursuivies, tout comme les prises de participation dans la gestion de projets d'infrastructures.

Pour ce dernier secteur d'activité, on a toutefois décidé de procéder à des dispositions stratégiques d'actifs comme ç'a été le cas en 2014 avec la vente de la participation dans AltaLink, le réseau de transport d'électricité de l'Alberta qui a généré un gain net de 1,3 milliard au dernier trimestre.

Le recentrage des activités de SNC-Lavalin ne s'est pas fait sans heurts. En novembre, le PDG Robert Card a annoncé la suppression de 4000 postes, ou 9 % des effectifs du groupe dans le monde, dont 1000 au Canada.

Une dévalorisation excessive

L'action de SNC-Lavalin, qui avait atteint un sommet de 59,63 $ en août dernier, a entrepris depuis un long repli avec une phase d'accélération en novembre et une autre il y a deux semaines lorsque la GRC a annoncé qu'elle déposait des accusations de fraude et de corruption contre l'entreprise, relativement aux contrats controversés qu'elle a réalisés en Libye.

Le dévoilement des résultats de jeudi a encore fait chuter le titre de SNC-Lavalin qui a perdu 6,57 % pour clôturer à 36,97 $; il s'agit d'une baisse de plus de 35 % depuis le haut des 52 dernières semaines, à 58,89 $.

Un prix qui ne tient visiblement pas compte de la valeur réelle de l'entreprise. Plusieurs analystes qui suivent les activités de SNC-Lavalin considèrent en effet que, à sa valorisation boursière actuelle de 5,6 milliards, le titre s'échange à un véritable prix d'aubaine, mais un prix qui la rend très vulnérable à une éventuelle prise de contrôle.

SNC-Lavalin dispose de liquidités de 1,7 milliard. Sa participation de 17 % dans l'autoroute 407 en Ontario est estimée à 3 milliards, et le groupe a l'intention de monnayer ce véritable trésor au cours des prochains mois.

Ses autres investissements en infrastructures sont évalués à plus de 1 milliard, facilement monnayables eux aussi, et son carnet de commandes s'élève à 12,3 milliards.

Selon l'analyste Yuri Lynk, de la firme Canaccord Genuity, le titre de SNC-Lavalin devrait afficher une valeur d'au moins 52,00 $ plutôt que les 36,97 $ qu'il enregistrait en fin de séance jeudi après-midi.

Bruce Campbell, président de Campbell, Lee & Ross Investment Management de Toronto, un actionnaire de SNC-Lavalin, estimait dans les pages du Financial Post que si on excluait la valeur des liquidités dont dispose SNC et celle de ses investissements en infrastructures, le titre du groupe d'ingénierie se transige présentement à environ 4 fois la valeur de ses bénéfices.

On est bien loin du ratio de 15 fois les profits que l'on attribue à la moyenne des autres entreprises inscrites en Bourse.

SNC-Lavalin est maintenant une proie qui pourrait tenter bien des prédateurs. Au-delà du risque qu'elle soit éventuellement reconnue coupable de fraude et de corruption, l'entreprise dispose d'actifs et de ressources qui la rendent bien attrayante pour nombre d'acquéreurs potentiels.

Après l'achat de la firme Kentz, l'an dernier, Robert Card disait souhaiter réaliser rapidement une autre acquisition d'importance afin d'augmenter encore davantage la valeur de SNC-Lavalin et de réduire les risques qu'elle fasse l'objet d'une offre publique d'achat. C'est malheureusement l'inverse qui s'est produit.