La délégation ministérielle canadienne est visible à Davos, et ce n'est pas seulement en raison du contingent important de cinq ministres qui s'y sont invités. Hier matin, le ministre des Finances Joe Oliver faisait la manchette de la chaîne financière CNBC où il était appelé à commenter en direct de Davos la baisse-surprise du taux directeur de la Banque du Canada.

Alors que tout le monde au Forum économique mondial (FEM) ne discutait hier que de l'adoption imminente d'un programme d'assouplissement quantitatif par la Banque centrale européenne (BCE), le Canada réussissait le tour de force de se hisser au rang de nouvelle économique du jour.

C'est que la baisse d'un quart de point du taux directeur de la Banque du Canada a pris vraiment tout le monde au dépourvu. Elle survient quelques jours à peine après que le ministre Oliver a décidé de reporter au mois d'avril le dépôt de son prochain budget.

Le report du budget et le geste imprévu de la banque centrale - qui cherche à atténuer les effets négatifs de la baisse de plus de 50% des prix du pétrole - ne risquent-ils pas de donner l'impression que les choses vont plus mal au pays que l'on ne pouvait imaginer?

«Je ne pense pas. Ma décision de reporter le dépôt du budget vise tout simplement à nous donner plus de temps pour avoir une meilleure vision de ce que va représenter la chute de plus de 50% des prix du pétrole», estime Joe Oliver, dans une entrevue qu'il nous a accordée dans les bureaux de la délégation canadienne à Davos.

«La Banque du Canada a pris sa décision de baisser son taux directeur sans nous consulter. Le gouverneur [Stephen] Poloz a bien expliqué qu'il s'agit d'une police d'assurance pour atténuer les effets négatifs que la baisse des prix du pétrole aura sur l'économie canadienne.»

Malgré la perte de revenus fiscaux que le gouvernement fédéral va subir avec l'effondrement des prix du pétrole, Joe Oliver est d'avis que l'atteinte de l'équilibre budgétaire n'est pas menacée pour le prochain exercice financier.

L'équilibre va être atteint même s'il faut puiser à même la marge pour éventualités de 3 milliards de dollars dont dispose le gouvernement.

«Son nom l'indique, c'est une marge pour faire face aux imprévus et c'est ce que l'on vit présentement», soulève le ministre des Finances, qui profite de son séjour à Davos pour rencontrer plusieurs de ses homologues du G20, dont le secrétaire au Trésor des États-Unis, Jack Lew.

Favorable à l'adoption d'un plan européen de rachat de titres de dettes, Joe Oliver est toutefois d'avis que l'Europe doit aussi entreprendre des réformes fiscales et structurelles pour bien relancer son économie.

C'est aussi d'ailleurs ce qu'a répété hier après-midi la chancelière allemande Angela Merkel qui participait à un atelier spécial du FEM. Opposée à un programme de rachats massifs de dette par la BCE, Angela Merkel a plaidé pour l'adoption de réformes structurelles urgentes pour l'ensemble des pays de la zone euro.

Enfin, Joe Oliver est confiant que la baisse de la valeur du dollar canadien - résultat de la chute des prix du pétrole et de la nouvelle baisse des taux d'intérêt - va permettre de stimuler la croissance, notamment au Québec et en Ontario, et ainsi annuler les répercussions négatives dans les provinces productrices de pétrole. «C'est la lecture de nos experts aux finances», dit-il.

Un ministre en croisade

Christian Paradis est un autre ministre du cabinet Harper qui est très actif à Davos. Le ministre titulaire du Développement international profite de la présence de nombreuses organisations non gouvernementales au FEM pour multiplier les rencontres en vue de la création prochaine d'une institution canadienne de développement international.

«Dans les années 60, l'aide internationale était assurée à 70% par les pays développés. Aujourd'hui, la contribution des gouvernements ne représente que 13% du financement des pays en développement.

«Au Canada, on finance pour près de 5 milliards d'aide internationale, alors que la diaspora envoie pour plus de 15 milliards dans leurs pays d'origine. Il faut trouver des moyens de financement nouveaux pour s'ajouter à notre aide statutaire», explique Christian Paradis.

Son Ministère travaille donc sur la mise en place d'une institution qui serait financée en partie par le gouvernement, mais aussi par le secteur privé, notamment par des entreprises qui pourraient trouver un bénéfice à long terme à financer des infrastructures.

Selon la Banque mondiale, les pays en développement auraient besoin de 1500 à 2000 milliards chaque année pour réaliser des travaux d'infrastructures urgents: services de santé, agroalimentaire, routes, aqueducs...

«On peut en faire plus en amenant de nos entreprises à investir dans les pays en développement tout en leur permettant d'aller chercher un rendement minimal. Ce sont de nouveaux marchés qu'ils pourront développer et dont ils pourront tirer parti un jour», résume Christian Paradis.

Parallèlement, le ministre assume aussi la présidence de l'Initiative de la refonte de la finance pour le développement, qui vise à impliquer davantage le secteur privé dans l'aide au développement.

Le Canada, les États-Unis et la Suède sont derrière cette initiative, tout comme la fondation Bill et Melinda Gates, la Banque mondiale, International Financing Company, la fondation Rockefeller et l'organisme Global Health and Diplomacy.

«Samedi [demain], je rencontre aussi Ban Ki-moon, le secrétaire général de l'ONU, pour faire avancer ce dossier. On veut produire un rapport final en septembre prochain lors de notre rencontre à Addis Abeba. Il faut faire plus de développement et le faire mieux», affirme Christian Paradis, qui semble pleinement heureux de sa vie au développement international.