Pierre Beaudoin est arrivé en Suisse mardi soir pour participer au Forum économique mondial (FEM) après avoir passé une dure semaine au bureau. «Tu ne m'as pas appelé sur mon cellulaire pendant mon trajet entre l'aéroport et Davos cette année?», me lance-t-il lorsqu'on prend place pour réaliser l'entrevue dans le hall bondé du Centre des congrès.

C'est qu'à pareille date, l'an dernier, j'avais contacté d'urgence le PDG de Bombardier parce que l'entreprise venait tout juste d'annoncer la suppression de 1500 emplois dans sa division aéronautique à Montréal.

Il fallait alléger la structure de coûts de l'entreprise, lourdement gonflée par le programme de lancement de la CSeries, en réduisant le personnel administratif. Mais quand ça frappe à Montréal, c'est toujours plus sensible, observe le PDG.

C'est à une autre situation de crise que Pierre Beaudoin a dû faire face, la semaine dernière, lorsqu'il a avisé les analystes financiers que Bombardier suspendait le développement du Learjet 85, licenciait 1000 travailleurs aux États-Unis et au Mexique tout en inscrivant au passage une radiation d'actifs de 1,4 milliard.

Plus préoccupant encore pour les investisseurs, Bombardier a annoncé qu'elle ne serait pas en mesure de livrer les résultats financiers conformes à ses prévisions et que les liquidités qu'elle prévoyait dégager en 2015 allaient être inférieures de près de moitié.

Les marchés ont violemment sanctionné ces mauvaises nouvelles, faisant reculer le titre de Bombardier de plus de 25% en deux jours et portant à plus de 30% sa dévaluation depuis le début de l'année.

Certains grands investisseurs ont indiqué qu'ils ne voulaient plus détenir d'actions de la multinationale montréalaise dans leur portefeuille. Plusieurs analystes ont émis l'avis que Bombardier devra lever jusqu'à 1 milliard de nouveaux capitaux pour mener à terme son prochain exercice financier.

Des objectifs ambitieux

Pierre Beaudoin affronte la tempête et dit comprendre la déception et la réaction des investisseurs et du marché face aux problèmes à court terme, selon lui, que traverse l'entreprise.

«Mais je le répète, chez Bombardier, on a toujours travaillé dans une perspective de long terme en développant de nouveaux projets et en fixant des objectifs ambitieux.

«On a des liquidités et des équivalents de liquidités de 3,8 milliards. C'est suffisant pour poursuivre nos programmes tout en sachant qu'on va commencer à toucher des revenus pour nos avions CSeries dont on va commencer les livraisons à partir de la fin de l'année», souligne-t-il en ce premier jour d'activités du Forum économique mondial.

Comme chaque année, l'emploi du temps de Pierre Beaudoin à cet événement est particulièrement costaud. Les rencontres avec des fournisseurs, des clients, des financiers se succèdent à une cadence soutenue. Le PDG réalise à Davos des rencontres qui auraient pris des mois de son temps s'il avait eu à se déplacer.

Au cours de l'heure que nous avons passée ensemble, Pierre Beaudoin multiplie les saluts de la tête à plusieurs PDG de multinationales qui font affaire avec lui. L'homme ne donne aucun signe de stress particulier. Il prend la situation au sérieux, mais l'aborde de façon sereine et réaliste.

«C'est sûr que l'on pensait que le projet du Learjet 85 reprendrait de l'altitude après la crise de 2008-2009, mais ça ne lève pas. On préfère donc le suspendre pour le reprendre quand le marché sera prêt», observe-t-il.

Garder le cap

La question mérite d'être posée. Existe-t-il quelque part dans le monde des bonnes nouvelles pour Bombardier?

«L'économie américaine reprend le dessus. C'est notre principal marché pour les avions d'affaires. Tout le monde me parle des problèmes de la Russie, mais les États-Unis, c'est un moteur économique.

«L'Inde a repris le chemin de la forte croissance, et on fait beaucoup d'affaires là-bas. Même chose en Australie et en Afrique du Sud, où on a beaucoup de contrats, et il y a la Chine qui maintient une croissance de plus de 7%», énumère-t-il.

Dans le secteur aéronautique, les transporteurs ont nettoyé leur bilan et commencent à respirer avec la baisse des coûts du carburant. Ils peuvent recommencer à planifier le renouvellement de leur flotte, et Bombardier relance les discussions avec plusieurs d'entre eux.

Les ratés du Learjet 85 masquent les succès des Global 7000 et 8000 dont on entame l'assemblage des premiers appareils et dont le carnet de commandes est richement garni.

La CSeries va être certifiée, et les livraisons vont débuter d'ici la fin de l'année, maintient le PDG. Et ce, malgré le retard de trois mois du programme d'essais en vol occasionné par l'explosion d'un moteur. Le fabricant Pratt&Whitney va assumer sa responsabilité financière pour les coûts que ce retard a entraînés.

Bombardier Transport a commencé la production de son nouveau train Zefiro 380 et, malgré la timide croissance économique en Europe, le train reste carrément le moyen de transport privilégié de la grande majorité de la population.

«C'est sûr que l'on va proposer nos solutions à la Caisse de dépôt pour le nouveau train du pont Champlain et de l'ouest de la ville. On l'a fait à Vancouver et notre bureau d'ingénierie de Saint-Bruno est notre centre de développement pour toutes les Amériques», rappelle Pierre Beaudoin.

Malgré les crises - certaines plus fortes que d'autres - qui l'ont secouée au fil des ans, Bombardier a toujours maintenu le cap en adoptant des objectifs audacieux. C'est ce qu'elle fait aujourd'hui avec tout de même un carnet de commandes de 70 milliards, faut-il rappeler.

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Carnet des Alpes

Le premier ministre Philippe Couillard a réalisé mercredi son baptême du feu davossien en participant à un premier atelier au Forum économique mondial.

Il a participé en matinée comme panéliste, en compagnie notamment de l'ex-premier ministre britannique Gordon Brown, à un atelier portant sur le financement des infrastructures publiques. Avec le financement du Plan Nord et celui de deux nouveaux liens ferroviaires à Montréal, on comprend bien qu'il s'agit d'un dossier cher au premier ministre. À l'issue de cet atelier, Philippe Couillard a observé que le Québec avait adopté les meilleures pratiques reconnues à l'international en confiant la gestion de ces projets à un organisme indépendant, le Bureau du Plan Nord, et en recourant à la participation financière de ses usagers.

Le premier ministre et son ministre du Développement économique Jacques Daoust ont participé à huit rencontres avec des investisseurs intéressés au Québec.

La délégation québécoise se limite à Philippe Couillard et Jacques Daoust. Le nouveau président d'Investissement Québec, en poste depuis une semaine seulement, ne fait pas partie de la mission.

Le Canada est pour sa part en fort avantage numérique à Davos avec cinq ministres sur place, soit Joe Oliver, des Finances, Ed Fast, du Commerce international, John Baird, des Affaires étrangères, James Moore, de l'Industrie, et Christian Paradis, du Développement international.

Le Canada compte aussi sur la présence du président d'Exportation et Développement Canada, Bernard Daigneault, et de Mark Wiseman, président de l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada.

En 2010, le gouvernement canadien n'avait dépêché aucun ministre à Davos. C'est l'ambassadeur du Canada en Suisse qui s'était chargé de recevoir les invités du monde entier au traditionnel cocktail canadien à Davos.