Il faut se réjouir de la décision de la Caisse de dépôt d'investir dans la construction de nouvelles infrastructures au Québec et d'accélérer le processus de modernisation de certains actifs collectifs dont on a cruellement besoin.

Ce virage stratégique qu'ont annoncé hier le premier ministre Philippe Couillard et le président de la Caisse, Michael Sabia, s'inscrit dans le mandat du bas de laine des Québécois, qui est de faire fructifier leurs fonds de retraite tout en participant, lorsque cela est possible et rentable, au développement économique du Québec.

En décidant de prendre à sa charge le financement de 5 milliards de dollars pour la construction d'un système de transport collectif sur le nouveau pont Champlain et d'un nouveau lien ferroviaire entre le centre-ville et l'ouest de Montréal, la Caisse enlève un peu de pression financière des épaules du gouvernement québécois tout en espérant s'assurer des rendements stables à long terme.

Si tout se déroule comme prévu, bien évidemment.

En conférence de presse, hier, Michael Sabia était convaincant lorsqu'il étayait l'expertise que la Caisse de dépôt a acquise au fil des 15 dernières années avec ses investissements dans le secteur des infrastructures. Des investissements qu'elle a réalisés presque exclusivement à l'international.

En 15 ans, la Caisse a cumulé des participations financières dans de nombreux projets d'infrastructures, dont The Canada Line, qui relie l'aéroport de Vancouver au centre-ville, le Heathrow Express et le Gatwick Express à Londres, le transporteur public mondial Keolis...

Bref, le portefeuille d'infrastructures de la Caisse cumule des participations qui totalisent aujourd'hui 10 milliards sur les 214 milliards d'actifs que gère l'institution. Le rendement visé de cette catégorie d'actifs est de 10% par année.

L'objectif de Michael Sabia est de doubler à 20 milliards d'ici cinq ans la valeur des investissements de la Caisse en infrastructures et son calcul est simple: si on est capable d'obtenir une rentabilité de 10% à l'étranger, pourquoi ne serait-on pas capable d'obtenir les mêmes rendements ici?

Les dangers de l'exubérance

La différence entre l'expérience passée de la Caisse dans le domaine des infrastructures et le projet qu'elle porte aujourd'hui, c'est que le bas de laine des Québécois a décidé de devenir le maître d'oeuvre et l'opérateur des chantiers qu'elle compte mener à terme.

Est-ce que la Caisse a vraiment l'expertise pour fixer la valeur de projets de construction complexes, leur échéancier de réalisation pour ensuite assurer une gestion rentable de ces infrastructures pendant toute la durée de leur vie utile?

Michael Sabia aime souvent rappeler combien il est important de bien connaître son métier. Le métier de base des gens de la Caisse a toujours été de bien gérer des portefeuilles d'actifs divers tout en modulant leur exposition au risque en fonction de la conjoncture.

La Caisse devra maintenant se transformer en immense bureau de projets pour assurer le suivi de toutes les étapes des infrastructures qu'elle veut construire: conception, planification, financement, mise en oeuvre, exploitation, maintenance...

Le PDG affirme que la Caisse a déjà beaucoup d'expérience dans le secteur des infras, qu'elle a aussi recruté des gens avec des compétences qui ont fait du Canada Line de Vancouver, notamment, un véritable succès technologique et financier.

Il faut toutefois rappeler que pour réaliser la ligne de transport léger sur rail de 19,5 km entre l'aéroport et le centre-ville de Vancouver, la Caisse de dépôt était associée à SNC-Lavalin.

C'est la firme de génie, dont c'est le métier, qui a assuré le financement partiel du projet, sa conception, sa construction, son exploitation et son entretien.

On comprend que la Caisse entrevoie ses deux projets d'infrastructures québécois comme une formidable occasion pour elle de déployer un savoir-faire qui sera exportable. Le Québec sera en quelque sorte un laboratoire et, idéalement, un tremplin.

On souhaite évidemment que la Caisse réussisse son pari. Mais l'histoire récente nous a appris qu'il est dangereux de «tomber en amour» avec une catégorie d'actifs particuliers.

Ç'a été le cas au début des années 2000 lorsque la Caisse a vu gonfler la bulle techno sans en profiter et qu'elle a décidé d'investir 3,2 milliards dans Québecor pour le rachat de Vidéotron. Deux ans plus tard, après l'éclatement de la bulle techno, la Caisse dévaluait de 2,5 milliards la valeur de son placement dans Québecor Média.

Ç'a été le cas en 2007-2008, lorsque la Caisse a décidé d'investir massivement dans les produits dérivés et le papier commercial adossé à des actifs - il fallait être de son temps - et que l'institution a essuyé une perte de 40 milliards.

Le bas de laine des Québécois a toujours réussi à surmonter ces crises graves, mais passagères. Il ne faudrait toutefois pas que sa transformation en bas de béton provoque un nouveau mal de bloc collectif.