L'événement le plus spectaculaire du vol inaugural de la CSeries a été sans conteste le silence sidérant avec lequel le nouvel appareil commercial de Bombardier a pris son envol, hier matin à Mirabel.

Un silence qui accompagnait avec une belle sobriété le soulagement généralisé que l'on a pu observer auprès des 3000 personnes présentes à cette grande première de l'aéronautique, mais un soulagement qui tempérait à peine leur excitation et leur fierté manifestes.

Excitation, fierté et soulagement. Voilà les trois mots qui résument le climat dans lequel s'est déroulé le vol inaugural tant attendu de la CSeries de Bombardier et auquel 2700 employés, liés au développement de cette nouvelle famille d'avions, ont participé en compagnie de 300 invités.

Lorsque nous avons quitté l'usine d'assemblage, tôt hier matin, pour nous rendre aux abords de la piste d'essai de l'ancien aéroport de Mirabel afin d'assister au premier vol de la CSeries, c'est en compagnie de centaines de travailleurs de Bombardier que nous avons fait le trajet à pied. L'excitation était palpable.

Les gens avançaient d'un pas fébrile, un téléphone intelligent à la main pour immortaliser tous les mouvements de cet événement qui allait bientôt devenir pour eux un moment historique.

Une excitation qui aurait été comparable à celle que l'on vit, gamin, à l'heure de la récréation, mais qui prenait hier matin un air beaucoup plus solennel et beaucoup plus proche de l'heure de la consécration.

Une excitation collective donc, empreinte d'une incontestable fierté d'assister à l'aboutissement d'un projet qui a connu depuis 10 ans ses hauts et ses bas, qui a mobilisé le travail de milliers de personnes et qui, surtout, incarne aujourd'hui l'avenir de Bombardier Aéronautique et de ses 35 000 employés, à l'oeuvre aux quatre coins de la planète.

On a beaucoup commenté les reports successifs du vol inaugural de la CSeries et sur le délai de neuf mois qu'avait cumulé cette étape importante de la vie commerciale du nouveau produit. Mais sans jamais trop s'attarder sur la complexité technique que représentait l'assemblage d'un avion créé à partir de zéro et fabriqué avec des matériaux et des systèmes totalement nouveaux.

«Depuis le premier report, il y a neuf mois, ce sont les toutes dernières semaines qui m'ont été les plus difficiles à vivre», m'a expliqué hier Guy Hachey, président et chef de l'exploitation de Bombardier Aéronautique.

Soulagés et confiants

«On était aux prises avec des bogues de dernière minute qui pouvaient dépendre de plusieurs facteurs. Il fallait les régler un à un. Par exemple, des voyants lumineux qui soudainement s'allumaient dans les logiciels de vol.

«Il s'agissait essentiellement de problèmes d'intégration des différents systèmes. On n'a rencontré aucun problème mécanique, seulement des problèmes de systèmes. Il fallait être patient et tout régler avant le premier vol», expose le patron de Bombardier Aéronautique.

Lorsque le premier appareil CSeries 100 a pris son envol hier, Guy Hachey confesse toutefois qu'il a été incapable de retenir ses larmes. Ç'a été un moment émouvant pour lui et pour la grande majorité des 3000 personnes qui étaient massées sur le tarmac de l'ancien aéroport de Mirabel.

Laurent Beaudoin, qui a été le grand architecte de la configuration industrielle actuelle de la multinationale Bombardier, était lui aussi très heureux d'assister enfin au premier vol de la toute nouvelle famille d'avions de Bombardier, celle qui doit assurer l'avenir de sa division Aéronautique.

«À l'époque, on procédait à l'inauguration d'un avion et on réalisait par la suite son premier vol, sans en faire un grand événement. Là, les attentes pour le vol inaugural étaient démesurées, mais, bon, c'est du passé, on peut aller de l'avant», constate, fataliste, le président du conseil de Bombardier.

À ceux qui s'interrogent sur la viabilité commerciale de la nouvelle famille d'avions CSeries, Laurent Beaudoin rappelle que c'est Bombardier qui a créé le marché des jets régionaux.

«Quand on a lancé le CRJ, les analystes disaient qu'il n'y avait pas de marché pour ce type d'appareils, qu'on en construirait 400 au maximum. On en a fabriqué plus de 2000.

«Avec la CSeries, on entre dans un segment de marché où les analystes estiment à 7000 la demande de nouveaux appareils pour les 20 prochaines années. On est les seuls à arriver avec un nouvel appareil. C'est là qu'est notre avenir», laisse tomber, sûr de lui, Laurent Beaudoin.