Le Salon international de l'aéronautique du Bourget est un lieu de maillage, de négoce, de jeux d'influence et, surtout, de lobbying intense. Cette année, on peut le constater de visu avec la forte délégation ministérielle canadienne présente à Paris: elle se trouve depuis le début de la semaine au centre des tirs croisés des grands fabricants militaires d'avions de chasse qui espèrent détrôner Lockheed Martin pour le remplacement de notre flotte agonisante de F-18.

Le volet militaire est une composante majeure des grands salons internationaux de l'aéronautique. De la casquette et des galons, on en voit beaucoup au Bourget. On reste ébahi et même un peu inquiet de voir autant d'avions militaires exposés au sol ou en démonstrations aériennes tout aussi acrobatiques qu'assourdissantes.

C'est cependant un volet dont les journalistes du Québec sont moins friands parce qu'ils viennent au Bourget ou à Farnborough davantage pour couvrir les avancées commerciales ou stratégiques des entreprises québécoises de l'aéronautique civile que pour voir en vrai le modèle dernier cri de drone.

Mais cette année, il aurait été difficile d'ignorer le volet militaire de cette activité annuelle. La seule présence massive de ministres fédéraux, exceptionnelle selon mon expérience personnelle, m'a obligé à me demander ce qu'ils faisaient tous là pour un secteur d'activité économique dominé à 60% par le Québec.

Denis Lebel, ministre des Transports et de l'Agence de développement économique du Canada pour les régions du Québec, Rona Ambrose, ministre des Travaux publics, et Ed Fast, ministre du Commerce international, ont tous convergé vers Paris pour se retrouver au Bourget.

Si on trouvait lourde la présence de deux ministres du Québec à Paris, celle d'Ottawa est carrément pesante. C'est que la controverse entourant l'explosion des coûts du programme d'acquisition des 65 avions F-35 pour remplacer nos vieux F-18 a amené le gouvernement fédéral à créer un secrétariat national indépendant pour permettre à d'autres manufacturiers d'avions de chasse de soumissionner sur le contrat de remplacement.

Au départ, cinq groupes étaient dans la course: Boeing, qui propose une nouvelle édition de son F-18; EADS et son Eurofighter; Saab et son Grippen; le groupe français Dassault et son Rafale; et, enfin, Lockheed et son F-35. Depuis, le groupe Saab s'est retiré.

Les ministres canadiens en visite au Bourget ont rencontré les grands bonzes de la machinerie guerrière aérienne ou vont immanquablement le faire, question d'en savoir plus sur la quincaillerie qu'ils ont à proposer.

Un vrai appel d'offres

Yves Robins, vice-président sénior responsable des États-Unis et de l'OTAN pour le groupe Dassault, m'a confirmé lundi qu'il allait rencontrer des officiels canadiens et il s'en réjouit. Tout comme Steve O'Bryan, vice-président chez Lockheed Martin, responsable du Programme F-35 et du développement des affaires, que j'ai rencontré hier et qui vante toujours le rapport coût-bénéfice pour le Canada du programme des F-35. «Le contrat du F-35 avait été donné à Lockheed de gré à gré, sans appel d'offres, souligne Yves Robins. Là, on nous donne l'occasion de participer au processus de sélection, et nous voulons démontrer que le Rafale est un avion de chasse moderne capable de concurrencer en tous points le F-35, et à un coût compétitif.»

Ottawa a établi trois grands critères de sélection: les avantages opérationnels, les avantages financiers et les retombées économiques canadiennes.

Lockheed s'est déjà engagée de façon ferme sur le dernier des trois critères. Les entreprises canadiennes vont pouvoir récolter près de 10 milliards de dollars de contrats sur les 25 prochaines années et, déjà, 70 d'entre elles - dont plusieurs du Québec que M. O'Bryan pouvait citer de mémoire - ont réalisé des commandes de l'ordre de 500 millions pour le donneur d'ordres américain.

Yves Robins réplique que l'achat du Rafale se traduirait par des retombées économiques équivalentes pour les entreprises canadiennes. «Déjà, le consortium des trois entreprises qui ont créé le Rafale - Dassault, Thales et Safran - a donné des commandes de 4,3 milliards aux entreprises canadiennes depuis 2003.

«On est capables de donner autant en sous-traitance que ce que propose Lockheed. Dès les premières livraisons, les entreprises canadiennes vont avoir leur part de contrats et une fois qu'un pays choisit le Rafale, comme l'Inde vient de le faire, nous acceptons de transférer la totalité des technologies que nous avons développées sur l'appareil», précise le marchand d'avions de chasse.

Une chose est certaine, nos ministres canadiens ont eu droit à un argumentaire blindé de chacune des parties qu'ils ont rencontrées. Heureusement qu'on n'est pas en guerre parce que la guerre des chasseurs canadiens est bien engagée et elle va durer au moins jusqu'à l'automne.