La Caisse de dépôt, qui s'est longtemps fait reprocher sa trop grande timidité à investir dans les entreprises québécoises, a démontré depuis deux ans - et avec une célérité certaine - sa capacité à épauler financièrement certains fleurons de l'économie québécoise.

Sous le règne des libéraux de Jean Charest, plusieurs ont reproché la trop grande frilosité de la Caisse de dépôt à jouer un rôle de catalyseur de l'activité économique au Québec.

C'est même devenu un enjeu de la dernière campagne électorale alors que péquistes et caquistes ont promis d'exiger une plus grande participation de la Caisse à la protection des sièges sociaux d'entreprises québécoises qui pourraient être menacés par des sociétés étrangères.

Même l'ex-ministre libéral des Finances Raymond Bachand avait souhaité l'orchestration d'une grande mobilisation - impliquant la Caisse de dépôt - pour protéger le groupe Rona d'une possible tentative de prise de contrôle hostile du groupe américain Lowe's.

On connaît l'histoire. La Caisse de dépôt, probablement alertée de l'intérêt manifeste du groupe Lowe's d'acquérir Rona, a réalisé au cours des 12 derniers mois l'achat de quelque 6,9 millions d'actions du groupe de quincaillers, des achats qui lui ont donné 15% du contrôle de l'entreprise et qui en ont fait l'actionnaire prépondérant.

La Caisse a couru des risques équivalents pour appuyer CGI dans son projet d'acquisition du groupe britannique Logica en achetant pour 1 milliard d'actions du groupe informatique. Même chose avec Genivar, où la Caisse a investi 180 millions dans la dernière année pour l'épauler dans la réalisation d'une offre publique d'achat (OPA) sur le groupe WSP en Grande-Bretagne.

L'interventionnisme nouvelle vague de la Caisse vient de prendre toutefois une tangente proche de l'activisme corporatif avec sa participation dans Rona.

Constatant que des investisseurs institutionnels importants, tels qu'Invesco avec 10,2% des actions ou les fonds ABC et son bloc de 3%, souhaitaient toujours que Rona s'assoie et discute avec les dirigeants de Lowe's, la Caisse a décidé de jouer elle-même, mais de façon très discrète, à l'actionnaire activiste.

Selon nos informations, c'est le PDG de la Caisse lui-même, Michael Sabia, qui a exigé du conseil d'administration de Rona le départ du PDG, Robert Dutton.

C'est la Caisse qui a orchestré la révolution de palais incomplète, qui a mis en poste le chef de la direction financière Dominique Boies comme PDG intérimaire du groupe.

La Caisse avait probablement des raisons légitimes de vouloir secouer la cage de la haute direction de Rona, notamment celle du cafouillage de gouvernance qui a entouré la divulgation tardive de l'existence d'une proposition de transaction du groupe américain.

Durant de longues semaines, le conseil d'administration de Rona n'a pas informé ses actionnaires de l'existence d'une proposition d'acquisition officielle que lui avait formulée Lowe's.

En exigeant le départ du PDG Dutton, la Caisse a voulu donner le signal aux actionnaires mécontents que les choses allaient changer. Ce changement à la direction lui permettait de poursuivre son objectif de protéger le siège social de Rona et les retombées économiques que génère le groupe au Québec.

Mais la Caisse a aussi dérogé à sa ligne de conduite traditionnelle voulant qu'elle n'intervienne pas dans la gouvernance des sociétés dans lesquelles elle investit.

Si cela avait été le cas, la Caisse n'aurait pas attendu 12 ans avant de désinvestir dans Québecor où son investissement colossal de 3,2 milliards n'a rien rapporté à ses déposants.

Dans le dossier Rona, la Caisse a précipité les événements au point où on a demandé au PDG intérimaire Dominique Boies, en poste depuis un an seulement dans une entreprise de commerce de détail, de dévoiler la semaine dernière un nouveau plan stratégique aux investisseurs et aux détaillants toujours inquiets du flottement entourant l'avenir du groupe.

Cette conférence de presse tenue dans l'hôtel-boutique W, immeuble adjacent au siège social de la Caisse, n'a rien appris de neuf à personne sauf qu'elle a confirmé les liens étroits qui unissent aujourd'hui Rona à la Caisse de dépôt.

La Caisse joue gros avec Rona. C'est bien que la Caisse veuille participer au sauvetage de cette entreprise québécoise et de son siège social, mais ce n'est pas son rôle ni de sa compétence de vouloir la gérer.