La fiscalité «agressive» que veut pratiquer le nouveau gouvernement péquiste envers les hauts salariés a suscité des réactions excessives auprès de certaines personnes aisées qui menacent même de quitter le Québec. Dans la Beauce laborieuse, au coeur de la pépinière d'entrepreneurs québécois, on est aussi furieux, mais il n'est pas question de quitter. «On irait où?», me demandent les chefs d'entreprises que j'ai rencontrés.

Au cours de la semaine dernière, la politique fiscale a été au coeur des discussions des contribuables qui devront fournir l'effort additionnel que le gouvernement péquiste veut leur demander pour équilibrer son budget, alors que leur taux marginal d'imposition va passer de 48,5% à 52% ou même 55%.

Angoisse fiscale, menace d'exode de talents, marginalisation du Québec comme terre d'investissements, la thématique de la surfiscalité a été largement débattue et pleinement condamnée par les gens qui seront mis à contribution.

Les réactions les plus virulentes sont venues des hauts salariés du monde de la finance qui sont parmi les plus visés par la nouvelle réalité fiscale, mais qui sont aussi les plus mobiles.

La gestion de portefeuille ne s'exerce jamais plus loin que le clavier d'un ordinateur. Que cet ordinateur soit à Montréal ou Toronto importe peu.

Il en va autrement des acteurs de l'économie réelle, de ceux qui exploitent des usines qui font vivre du vrai monde, mais qui sont tout autant frappés par le nouvel environnement fiscal que le gouvernement Marois veut mettre en place.

Julia Gagnon, est vice-présidente d'Attraction, entreprise manufacturière qui fabrique des vêtements sport à son usine de Lac-Drolet, en Beauce. Julia va bientôt prendre la relève pour diriger l'entreprise que son père et ses oncles ont créée il y a 30 ans.

«C'est sûr que la nouvelle fiscalité va me pénaliser. Mais qu'est-ce que je peux faire. Notre usine donne du travail à 80 personnes dans notre village de 1000 habitants. C'est près du tiers de la population active qui compte sur nous. Il n'est pas question de déménager. Mais le gouvernement ne nous donne pas un gros incitatif à en faire plus», déplore la jeune entrepreneure de 30 ans.

Philippe Pelchat est président d'Acrylique Le-Bo, entreprise qui fabrique des trophées en acrylique. C'est sa mère Claire Boutin qui a fondé la société qui emploie 50 personnes à Saint-Honoré.

«C'est vraiment démotivant de se faire taxer comme ça. Pas question que je touche à notre usine, mais mes prochains projets d'affaires je ne suis pas sûr de les réaliser au Québec. On vient de me couper toute chance de rendement sur mes prochains investissements.

«Ma mère qui a fondé l'entreprise songe sérieusement à vendre sa maison pour aller s'installer en Floride. C'est vraiment dommage», relève-t-il avec une pointe d'amertume.

Martin Gendreau, est directeur des ventes chez Garaga, fabricant de portes de garage de Saint-Georges-de-Beauce. Avec son frère et sa soeur, il prévoit prendre la relève de son père Michel Gendreau qui a fondé Garaga en 1983. L'entreprise emploie 150 personnes à Saint-Georges.

«Écoutez, on n'a pas beaucoup le choix que de se plier à la décision du nouveau gouvernement. Il a été élu et il fait son travail. On a une autre usine aux États-Unis, mais il n'est pas question de transférer des opérations. Chaque usine dessert son territoire géographique. On va devoir vivre avec ce nouveau contexte» estime Martin Gendreau.

Marc Dutil, président de Canam, important fabricant de structures d'acier de Saint-Georges, est lui aussi passablement dépité par le nouvel environnement fiscal avec lequel il devra composer.

Le PDG de Canam veut réserver ses commentaires pour une conférence qu'il doit donner cette semaine à la chambre de commerce de Québec, mais il ne peut s'empêcher d'observer que le nouveau traitement fiscal des dividendes et des gains en capitaux va déplacer bien des projets à l'extérieur du Québec.

«Plutôt que d'ouvrir une nouvelle usine à Drummondville, l'entrepreneur va tout simplement décider d'investir à Cornwall. C'est assez prévisible comme comportement», souligne-t-il.

Paul Alain est président de Produits Delta qui fabrique des tableaux d'école interactifs - les fameux tableaux blancs qui remplacent les tableaux verts - à Victoriaville. L'entreprise compte 45 employés.

Le moins que l'on puisse dire c'est que les relations de M. Alain et le gouvernement québécois sont difficiles. Son entreprise a eu beaucoup de fil à retordre pour se tailler une place dans les commissions scolaires. On préférait des tableaux faits à l'étranger alors que ceux de Delta sont vendus dans les magasins Staples partout au Canada.

Maintenant, c'est la fiscalité «lourde» qui vient empoisonner son existence.

«C'est bien de vouloir le bien. C'est bien de vouloir stimuler l'économie. Mais il faut aussi être heureux de réussir. Là, le message qu'on envoie aux entrepreneurs, c'est que si vous avez du succès vous allez en payer le prix. Ça n'a pas de bon sens», dénonce Paul Alain.

Les entrepreneurs sont bien prêts à faire leur part et créer le plus de richesse possible autour d'eux au Québec, mais ils veulent aussi qu'on leur en laisse un peu à eux à la fin de l'année.