L'offre publique d'achat de 3,6 milliards de dollars que vient de faire Alimentation Couche-Tard pour acquérir la totalité des actions du détaillant scandinave Statoil Fuel & Retail nous démontre une fois de plus combien Alain Bouchard et son équipe d'opérateurs sont devenus des acteurs dominants à l'échelle mondiale dans leur secteur d'activité.

Après avoir consolidé le marché canadien et réalisé une percée significative aux États-Unis où Couche-Tard occupe le deuxième rang de l'industrie des dépanneurs - et où elle serait devenue le numéro un si sa tentative d'acquisition du groupe Casey's, en 2010, avait réussi -, l'entreprise lavalloise s'implante maintenant en Europe.

Et pas de façon timide, elle y va big time, comme disent les Américains.

Parce que l'acquisition de Statoil Fuel & Retail et sa chaîne de 2305 dépanneurs n'est que le premier jalon de l'expansion européenne du groupe québécois.

Comme Alain Bouchard l'a expliqué à La Presse le jour de l'annonce de la transaction scandinave, ça fait déjà cinq ans que Couche-Tard étudie le marché européen et cherche à y réaliser une transaction. La cible première était l'Angleterre, mais l'occasion Statoil a forcé la révision du plan de match.

En entrevue cette semaine, Alain Bouchard m'a clairement fait comprendre que le marché britannique restait très présent sur son radar. Visiblement, un jour ou l'autre, il va y conclure l'acquisition qu'il espérait réaliser.

Mais Couche-Tard n'attendra pas cette prochaine transaction pour accroître sa présence européenne. L'acquisition de Statoil lui donne accès à des marchés qui sont faits sur mesure pour un consolidateur comme Alain Bouchard.

«Statoil exploite par exemple 340 magasins en Pologne. On y est un petit acteur avec seulement 5-6% des parts de marché et on occupe le cinquième rang. Notre objectif est de rapidement devenir le numéro deux en Pologne. C'est un pays qui compte 40 millions d'habitants. Il y a là un très bon potentiel», souligne le PDG.

Une fois la transaction avec Statoil conclue en juin prochain, le nombre total de dépanneurs Couche-Tard passera de 6155 à 8460. Ce qui fait beaucoup de litres de lait et d'essence à vendre sur deux continents pour dégager une marge de profit conséquente.

Imaginez, Couche-Tard a enregistré en 2011 un profit net de 370 millions sur des ventes de 21,7 milliards. Il faut en vendre, des billets de loto et des sacs de chips, pour espérer rentabiliser un dépanneur. Statoil Fuel & Retail viendra ajouter 12,8 milliards au chiffre d'affaires de Couche-Tard et 500 millions en profits.

Couche-Tard est devenu un géant, mais un géant qui doit redorer son blason au Québec à cause de la mauvaise presse que le groupe a essuyée en raison de son opposition à la syndicalisation de certains de ses commerces.

Fumeur, je suis un client assidu des dépanneurs Couche-Tard et je peux me rendre compte quotidiennement que c'est en plein le type de commerce qui ne se prête absolument pas à la syndicalisation de ses employés.

Plus de 60% des dépanneurs Couche-Tard fonctionnent sur une base de 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et toute l'année. Chaque magasin emploie en moyenne 10 personnes pour assurer les quarts de travail.

La très grande majorité des commis qui sont engagés sont des étudiants qui vont conserver leur emploi quelques mois. Ils changent d'horaire ou de programme scolaire, bref ils aspirent à tout sauf à obtenir une permanence. Chaque année, plus de 50% des commis de la chaîne de dépanneurs quittent leur emploi d'eux-mêmes.

J'ai été d'ailleurs surpris de me faire servir pendant des années par la même jeune commis à mon dépanneur du coin. Un jour, je lui fais la remarque qu'elle devait être la doyenne des employés. Elle m'a répondu: «Oui c'est vrai, mais je pars dans deux mois, je viens de terminer mon bac en sciences sociales.»

Cette employée n'avait aucune ambition de devenir syndiquée. La seule chose qui comptait pour elle, c'était de pouvoir modifier son horaire chaque trimestre. Une politique d'accompagnement scolaire que suit scrupuleusement la chaîne de dépanneurs.

On comprend mal l'entêtement de la CSN à vouloir embrigader des employés de dépanneurs plutôt que de protéger des emplois industriels où leur nombre et les enjeux de relations de travail justifient pleinement son action.

C'est quand même ironique que la campagne de syndicalisation des dépanneurs Couche-Tard ait démarré au moment même où la CSN affichait toute son incapacité à défendre l'emploi de 250 lockoutés du Journal de Montréal. Ils avaient pourtant, dit-on, la meilleure convention collective en Amérique du Nord...

La CSN devrait s'occuper de dossiers beaucoup plus urgents et structurants pour le monde du travail québécois plutôt que de faire la guerre à ceux qui ne la cherchent pas.