Regardez-vous la télévision en anglais? Je pose la question sincèrement parce qu'en épluchant les courriels qui s'empilent au quotidien dans ma boîte, je reçois des signaux hyper contradictoires.

Par exemple, j'écris sur la magnifique série britannique Downton Abbey et je croule sous les missives fleuries d'accros qui me refilent les derniers potins sur le tournage de la troisième saison. Conclusion: c'est évident, plusieurs lecteurs alternent facilement entre Toute la vérité et The Good Wife.

Puis, comme ce fut le cas samedi, la situation se renverse. La chronique sur les nouvelles règles de la télé ne comprenait qu'un seul titre en français: Aveux. Crime aussi impardonnable que lorsque Samuel a largué Claudia pendant la grande finale d'Occupation double 5.

Du coup, je suis devenu un traître à la nation québécoise, le Judas Iscariote de l'église cathodique. Souvent, vous me suggérez fortement d'offrir mon clavier (tout sale) à la Gazette et me reprochez de ne pas honorer mon nom, une union (bien involontaire) de deux grands écrivains français du XIXe siècle, Victor Hugo et Alexandre Dumas.

Un exemple, pigé parmi tant d'autres? «Vous devriez aller écrire vos chroniques dans des journaux anglophones. Je n'ai rien contre la langue anglaise comme deuxième langue (NDLR: deuxième langue était écrit en caractères gras), mais à l'occasion seulement. De grâce, arrêtez de conseiller aux gens d'écouter la télévision en anglais seulement», écrit une lectrice courroucée et un brin anglophobe.

Parfois, vous râlez «contre cette anglophilie cool des jeunes plogués sur les États-Unis» et déplorez que je ne m'adresse pas «à la tranche la plus populeuse de la société, les baby-boomers». Comme si aucun baby-boomer n'était bilingue.

Réglons une chose tout de suite: je ne recommande jamais aux gens de ne consommer que de l'Américain. Je couvre pratiquement tout ce qui passe à la télé québécoise, un terreau fertile qui nourrit plus de 90% de mes chroniques. Les téléréalités, les galas, les téléromans, les grandes séries dramatiques, les documentaires, les jeux, les bulletins de nouvelles, les quiz, les talk-shows, les magazines, je ne snobe aucun produit québécois, contrairement à certains collègues.

Par contre, il est important d'élargir son horizon et de scruter ce qui se fabrique ailleurs, particulièrement aux États-Unis, le plus gros joueur de l'industrie. Et cela tombe bien, car la télévision américaine, qui n'a jamais été aussi brillante, vit un deuxième âge d'or, répètent les analystes depuis quelques années.

Plusieurs émissions qui cartonnent présentement aux États-Unis, et dont les titres ne vous disent peut-être rien pour l'instant, aboutiront inévitablement en version doublée sur des antennes québécoises. Dans les dernières saisons, des chaînes d'ici ont programmé Perdus, Le clan Braverman, Dre Grey: leçons d'anatomie, Frères et soeurs, Beautés désespérées, Mad Men, Les Soprano, Esprits criminels, Le trône de fer, Dommages et intérêts, Agent libre, Nip/Tuck, Les experts, Dexter, True Blood, Dr House, Le mentaliste, Une femme exemplaire, Entourage, Famille moderne, 24 heures chrono ou Shameless, pour ne nommer que ces titres.

Écrire que l'on aime Weeds n'enlève absolument rien à la télé québécoise. Avec des moyens pas mal plus modestes que leurs collègues américains, les auteurs et réalisateurs de chez nous accomplissent de petits miracles. Tout ça a été dit et redit plusieurs fois.

La réalité, c'est que la télé américaine influence nos créateurs et nos décideurs. Le succès de The Voice à NBC n'est pas étranger à son adaptation sur TVA à l'hiver 2013. Même chose pour La classe de 5e, qui a remporté un franc succès sur Fox avant de traverser la frontière.

La question linguistique reste toujours aussi délicate au Québec. Autre manifestation: plusieurs d'entre vous avaient décrié l'emploi de chansons en anglais dans Trauma, La galère ou Les invincibles. C'est un tout autre sujet.

Mais regarder, de temps à autre, la télévision en anglais nous conduira-t-il à l'assimilation complète? Ça m'étonnerait. Rien ne remplacera la télé faite par des Québécois, avec des Québécois et pour des Québécois. Nos amis du reste du Canada envient d'ailleurs la vigueur de notre industrie et le star-système qui s'y greffe.

Reste qu'il n'y a rien de bien scandaleux à connaître les secrets des Grayson dans Revenge et ceux de la famille Bérubé dans Apparences. C'est plutôt une richesse que d'avoir le meilleur des deux mondes, non?